samedi 31 décembre 2011

Fin d'année en livres

En cette fin 2011, nous avons décidé le calme, la (les) douceur(s), le temps d'être ensemble, de partager nos rêves éveillés ou non et aussi de décortiquer une pince de homard, et puis surtout le temps de lire... et je ne m'en suis pas privé...

Pour mes lecteurs, deux passages seulement, pour laisser toute sa place à la fête...

Un grand musicien est quelqu'un qui donne après plusieurs années de travail ce que donne le rossignol au premier jet de son chant.
Christian Bobin
Un assassin blanc comme neige

Je n'arrivais pas à dormir, plus que jamais convaincu que les marges de nos vies sont trop étroites pour contenir la somme de nos rêves et le miroir de nos intuitions.
Jean-Paul Dubois
Le cas Sneijder

Bonne année, qu'elle vous soit douce et belle !

mercredi 28 décembre 2011

Monsieur Linh

Monsieur Linh fait signe à son ami de le suivre. Il quitte le sentier et s'enfonce dans la forêt. Le dernier soleil dépose çà et là des pièces d'or sur le tapis de mousse, et soudain, jaillissant de cette mosaïque verte mêlée de feu, une source apparaît. Elle naît entre deux pierres et son eau qui s'élance suit cinq directions, comme si elle dessinait la forme d'une main tendue et de cinq doigts écartés, une main ouverte, une main offerte. Les cinq filets d'eau disparaissent ensuite dans le sol, quelques pas plus loin, aussi miraculeusement qu'ils étaient venus à la lumière.
"Cette source n'est pas une source ordinaire, dit Monsieur Linh au gros homme. On raconte que son eau a le pouvoir de donner l'oubli à celui qui la boit, l'oubli des mauvaises choses. Lorsque l'un d'entre nous sait qu'il va mourir, il s'en va vers la source, seul. Tout le village sait où il va, mais personne ne l'accompagne. Il faut qu'il soit seul à faire le chemin, et seul à s'agenouiller ici. Il vient boire l'eau de la source et aussitôt qu'il l'a bue, sa mémoire devient légère: ne restent en elle que les jolis moments et les belles heures, tout ce qu'il y a de doux et d'heureux. Les autres souvenirs, ceux qui coupent, ceux qui blessent, ceux qui entaillent l'âme et la dévorent, tous ceux-là disparaissent, dilués dans l'eau comme une goutte d'encre dans l'océan."

(ce passage est un rêve de Monsieur Linh, très significatif...)

Philippe Claudel
La petite fille de Monsieur Linh


"Un récit aussi bref que brûlant dont les braises ne s’éteignent pas, le livre refermé"
Philippe Jean Catinchi
Le Monde des livres
4° de couverture

jeudi 22 décembre 2011

Autour des mots

Aussi loin que remontent mes souvenirs, j'ai toujours eu une grande passion pour les mots, et le champ des recherches et surtout des découvertes qu'il me reste à cultiver en espérant une belle et bonne récolte, ce champ est tellement vaste que je vais demander un supplément de vie de quelques siècles pour espérer le connaître un peu mieux.
Ma toute première lumière en la matière est venue de la lecture du livre Les Mots de Jean-Paul Sartre (pour une fois que je comprenais ce qu'il écrivait). Depuis, j'ai complété par des lectures diverses et différentes en cherchant la richesse du vocabulaire (exemple: Marguerite Yourcenar), la finesse des jeux de mots (Sacha Guitry ou Alphonse Allais, entre autres), l'inventivité (Georges Pérec en champion). J'ai même tâté de la contrepèterie sans m'y attarder, je suis resté plus longtemps sur le cas des charades à tiroir. J'ai été un fan de Pierre Dac. J'ai dévoré des livres faisant la somme de tout qui touche aux mots, en particulier Claude Gagnière (Au bonheur de mots). Je suis toujours à l'affût de belles découvertes et il m'arrive d'en faire part (voir mon message sur Les rillettes de Proust, du 13 avril 2010).
Aujourd'hui, je veux dire tout le bien que je pense d'un petit livre: Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde, d'Etienne Klein et Jacques Perry-Salkow. Les anagrammes, brillantes pour la plupart car chargées du même sens que leur origine, sont accompagnées de textes fort bien documentés. Voici quelques exemples.
- Antoine de Saint-Exupéry -> doux sire y était en panne
- Le massif des Ecrins -> les défis sans merci
- Vercingétorix, roi des Gaules -> digne vers toi, glorieux César
- Les éditions Flammarion -> l'arôme des mots à l'infini
- Le commandant Cousteau -> tout commença dans l'eau
- Entreprise Monsanto -> poison très rémanent
- Aurore Dupin, baronne Dudevant, alias George Sand -> valsera d'abord au son du piano d'un génie étranger.

A vos lectures...

lundi 12 décembre 2011

Proverbe

Aperçois-tu un homme prompt à parler ?
Il y a plus à espérer d'un sot que de lui.

Proverbes 29, v. 20
Traduction TOB

vendredi 9 décembre 2011

Sanctus

Le Sanctus de la Messe solennelle de Gounod... Oeuvre qui peut paraître pompeuse et emphatique et il n'y a que Jessye Norman pour une interprétation à la hauteur. J'avais naguère (c'était du temps d'Annecy) un bon copain, Gilles, dont je regrette l'éloignement, qui souhaitait que ce morceau soit joué à son enterrement, dans cette version de Jessye Norman. Je n'en suis pas là, loin de là même, mais quand on dit "avoir la chair de poule" en écoutant de la musique, pour moi c'est valable avec ce Sanctus.

mercredi 30 novembre 2011

Comme un souffle fragile

Ceux qui pratiquent, à l'occasion ou régulièrement, les cantiques reconnaîtront-ils ce "Comme un souffle fragile" (de Pierre Jacob -paroles- et Gaëtan de Courrèges -musique, avec harmonisation de François Rauber-) régulièrement chanté à toutes occasions ... mais, hélas, pas de cette façon-là... et j'en connais plusieurs qui le regrettent...

jeudi 24 novembre 2011

Un soin palliatif particulier

L'auteur accompagne sa grand-mère dans les derniers instants de sa vie, dans une chambre d'hôpital...

J'ai pensé que je devais lui lire quelque chose. Peut-être m'entendait-elle. Je voulais lui lire de la poésie... Mais pas moyen de trouver le moindre recueil. Il y avait une petite bibliothèque au bout du couloir, qui ressemblait davantage à une déchetterie littéraire.... Subitement, mon oeil a été attiré par un petit guide de voyage. Cela s'appelait Un long week-end à Rome... Je me suis dit que ça ferait l'affaire... La lecture dura toute la nuit, avec l'impression que tout cela était réel: nous avons passé trois jours à Rome. A la fin du voyage, ma grand-mère fermait les yeux. Elle ne respirait plus. Je ne sais pas à quel moment elle est morte; je ne sais pas si elle est morte pendant un passage sur un restaurant dont la spécialité était le risotto aux asperges ou bien pendant la description du parc de la villa Borghèse, mais je peux affirmer qu'elle est partie paisiblement, sans le moindre soubresaut, sans la moindre violence. Le coeur a quitté le corps avec politesse. Je l'ai regardée pendant de longues minutes. On savait la mort, on la connaissait, et pourtant elle arrivait toujours comme une stupéfaction. Cela me paraissait fou que son corps soit subitement vide de vie; que son esprit soit vide de pensée. Et je trouvais choquant de ne pouvoir remédier à cette tragédie.

David Foenkinos
Les souvenirs

J'ai choisi cet extrait pour une raison bien particulière: il me fait revenir, en force et avec beaucoup d'émotion, un mois en arrière, au stage "La Mort et Moi", dont j'ai déjà un peu parlé. Je pense en particulier à un exercice, pratiqué à deux, une approche concrète, mais je n'avais pas pensé à un guide de ce genre de voyage...

Quoi qu'il en soit, bravo M. Foenkinos, c'est un livre très fort, et puis, comme le dit la 4ème de couverture, vous avez vraiment "un art maîtrisé des formules singulières ou poétiques".

samedi 12 novembre 2011

Etty Hillesum

Il y a déjà quelques mois que je souhaite faire part d'une très belle découverte (pour moi, en tout cas) en matière de lecture, le journal bouleversant, écrit entre 1941 et 1943, d'une jeune juive néerlandaise, Etty Hillesum. Née en janvier 1914, titulaire d'une maîtrise de droit au tout début de la seconde guerre, elle découvre après 1940 ses liens avec son "peuple" et développe une foi très personnelle teintée de mysticisme. Puis elle rencontre en février 1941 un psychothérapeute très spécial (qui se dit "psychochirologue"), Julius Spier, dont elle devient la cliente, l'élève, la secrétaire, l'amie de cœur, qui lui fait découvrir la richesse de la Bible, de Saint Augustin, ainsi que la poésie de Rilke. La même année, elle commence l'écriture d'un journal, entre autres chronique des persécutions subies par les juifs néerlandais. Elle le tiendra jusqu'à sa déportation en 1943. Engagée dans les services administratifs du Conseil juif d'Amsterdam en juillet 1942, elle est envoyée à sa demande au camp de transit de Westerbork, où elle choisit de rester sans tirer avantage de son statut de fonctionnaire (elle déteste sa position de privilégiée et en ressent un profond malaise). Déportée avec les siens en septembre 1943, elle meurt le 30 novembre à Auschwitz. (Aides : l’avant-propos du livre et la revue Clés de février-mars 2011)

Pourquoi ai-je tant attendu avant d'inciter mes lecteurs à se précipiter sur ce livre? Bonne question. Ce n'est pas de la négligence, peut-être seulement la crainte de ne pas rendre compte avec suffisamment de précision de mon émotion et de mon admiration pour une telle richesse, une telle profondeur, une telle sincérité, tout simplement une telle beauté. Et puis, j'ai lu un article d'André Comte-Sponville dans le numéro de la revue Clés que j'ai cité plus haut. Ce philosophe écrivant assurément mieux que moi, et je n'en fais aucun complexe, je lui laisse quelques instants la parole (à noter, ce qui n'est pas étonnant, que c'est Christian Bobin qui lui a fait découvrir Etty Hillesum).

"Comme on aimerait être son ami, son mari, son fils, son amant! Elle est heureuse et libre, malgré la guerre, malgré la Gestapo, malgré l'extermination qu'elle voit venir. Le réel est à prendre ou à laisser. Elle le prend tout entier. Ni rancœur, ni haine, ni résignation: il suffit de comprendre et d'accepter."

Enfin, je cite deux passages du livre.
"Ne pourrait-on apprendre aux gens qu'il est possible de travailler à sa vie intérieure, à la reconquête de la paix en soi. De continuer à avoir une vie intérieure productive et confiante, par-dessus la tête -si j'ose dire- des angoisses et des rumeurs qui vous assaillent. Ne pourrait-on leur apprendre que l'on peut se contraindre à s'agenouiller dans le coin le plus reculé et le plus paisible de son moi profond et persister jusqu'à sentir au-dessus de soi le ciel s'éclaircir, rien de plus, mais rien de moins."
"Ce n'est plus moi en particulier qui veux ou dois faire telle ou telle chose: la vie est grande, bonne, passionnante, éternelle, et à s'accorder tant d'importance à soi-même, à s'agiter et à se débattre, on passe à côté de ce grand, de ce puissant et éternel courant qu'est la vie."

lundi 24 octobre 2011

La vache blanche et la vache noire

De même que Confucius recommandait, avant toute entreprise, de se mettre d'accord sur le sens précis des mots, de même chacun sent bien que la bonne question est la condition nécessaire à toute réponse acceptable. Dans le cas de la tradition zen, la question, si elle est bien posée, si elle met en œuvre en un instant toutes les facultés de l'esprit et du cœur, n'a même pas besoin d'une réponse. Elle a déjà rempli son rôle. Ainsi (...) une question parmi les classiques: "Deux mains qui claquent l'une contre l'autre font entendre un bruit. Quel est le bruit d'une seule main?"
L'histoire suivante, qu'il faut dire ou lire lentement, se raconte de nos jours dans le pays basque espagnol. Certains la tiennent pour une des meilleures histoires du monde.

Un paysan tranquille et taciturne gardait deux vaches qui broutaient dans un pré et il ne faisait rien d'autre.
Un autre paysan, qui passait par là, s'assit au bord du pré, sur un petit mur, il resta un moment silencieux (dans ce pays, les conversations sont lentes et réfléchies) et finalement demanda:
- Elles mangent bien, les vaches?
- Laquelle? dit l'autre.
Le paysan de passage, quelque peu décontenancé par cette question, dit alors, comme au hasard:
- La blanche.
- La blanche, oui, dit le premier.
- Et la noire?
- La noire aussi.
Après ce premier échange, les deux hommes restèrent un assez long moment sans parler, les yeux posés sur le paysage familier, les montagnes, le village.
Puis le second paysan demanda:
- Et elles donnent beaucoup de lait?
- Laquelle? dit aussitôt l'autre.
- La blanche.
- La blanche, oui.
- Et la noire?
- La noire aussi.
Un autre silence suivit, qui dura aussi longtemps que les autres. Au cours de ce silence, les deux hommes ne se regardèrent pas. On n'entendait que le bruit paisible des deux vaches qui tondaient l'herbe.
Le deuxième paysan quitta finalement le silence et dit:
- Mais pourquoi me demandes-tu toujours "laquelle"?
- Parce que, répondit le premier, la blanche est à moi.
- Ah, dit l'autre.
Il réfléchit encore un peu et demanda pour finir, non sans une secrète appréhension:
- Et la noire?
- La noire aussi.

Jean-Claude Carrière
Le cercle des menteurs.
Contes philosophiques du monde entier.

Je lis depuis quelques temps, par petites touches, ce livre délicieux qui permet d'aller beaucoup plus loin que de simples historiettes et qui nous fait creuser, y compris en nous, pour trouver quelques vérités premières bienfaitrices et salvatrices.


vendredi 23 septembre 2011

Regarder la vie

J'ai passé une grande partie de mon enfance dans l'enclos des dimanches, attaché au piquet des visites en famille. Le bruit que fait un dimanche en province est à peine audible. Il est comme l'intervalle de silence entre la chute d'une goutte d'eau dans l'évier, et la chute de la goutte d'eau suivante. Le dimanche laisse s'épanouir l'ennui que la fièvre des travaux a chassé du restant de la semaine. Un enfant qui s'ennuie n'est pas très loin du paradis: il est au bord de comprendre qu'aucune activité, même celle, lumineuse, du jeu, ne vaut qu'on y consacre toute son âme. L'ennui flaire un gibier angélique dans le buisson du temps: il y a peut-être autre chose à faire dans cette vie que de s'y éparpiller en actions, s'y pavaner en paroles ou s'y trémousser en danses. La regarder, simplement. Le regarder en face, avec la candeur d'un enfant, le nez contre la vitre du ciel bleu derrière laquelle les anges, sur une échelle de feu, montent et descendent, descendent et montent.

Christian Bobin
Prisonnier au berceau

Merci, cher Monsieur Bobin, d'avoir écrit ces mots pour tant d'autres personnes peut-être, pour moi sûrement.
 

jeudi 11 août 2011

Etre malade avec vous

Au cours d'une histoire sentimentale, l'alcool accompagne deux moments opposés: quand on découvre l'autre et qu'il faut se raconter, et quand on n'a plus rien à se dire. C'était maintenant la première étape. Celle où l'on ne voit pas le temps qui passe, celle où l'on refait l'histoire, et notamment la scène du baiser. Nathalie avait pensé que ce baiser avait été dicté par le hasard de la pulsion. Peut-être que non? Que le hasard n'existait pas. Que tout cela n'avait été que le cheminement inconscient d'une intuition. L'impression qu'elle se sentirait bien avec cet homme. Cela la rendait heureuse, puis grave, puis heureuse à nouveau. Un voyage incessant de l'allégresse à la tristesse. Et maintenant, le voyage les menait dehors. Vers le froid. Nathalie ne se sentait pas très bien. Elle avait attrapé froid avec les allers-retours nocturnes de la veille. Où allaient-ils? S'annonçait le genre de promenade longue, car on n'ose pas encore aller chez l'autre, et l'on ne veut surtout pas se séparer. On laisse s'éterniser le sentiment d'indécision. Et c'est encore plus fort la nuit.
"Est-ce que je peux vous embrasser? demanda-t-il.
- Je ne sais pas... j'ai un début de rhume.
- Ce n'est pas grave. Je suis prêt à être malade avec vous. Je peux vous embrasser?"
Nathalie avait tellement aimé qu'il lui pose la question. C'était une forme de délicatesse. Chaque moment avec lui sortait de l'ordinaire. Après ce qu'elle avait vécu, comment aurait-elle pu imaginer être à nouveau dans l'émerveillement? Cet homme-là avait quelque chose d'unique.
Elle dit oui, d'un mouvement de tête.

David Foenkinos
Le délicatesse

lundi 8 août 2011

Le solstice d'été

A soixante ans on a franchi depuis longtemps le solstice d'été. Il y aura encore de jolis soirs, des amis, des enfances, des choses à espérer. Mais c'est ainsi: on est sûr d'avoir franchi le solstice. C'est peut-être un bon moment pour essayer de garder le meilleur: une goutte de nostalgie s'infiltre au cœur de chaque sensation pour la rendre plus durable et plus menacée. Alors rester léger dans les instants, avec les mots. Le solstice d'été est peut-être déjà l'été indien et le doute envahit les saisons, les couleurs. Le temps n'est pas à jouer; il n'y a pas de temps à perdre.
Avec les mots rester solaire. Je sais ce qu'on peut dire à ce sujet: l'essentiel est dans l'ombre, le mystère, le cheminement nocturne. Et puis comment être solaire quand l'humanité souffre partout, quand la douleur physique et morale, la violence, la guerre recouvrent tout? Eh bien peut-être rester solaire à cause de tout cela. Constater, dénoncer sont des tâches essentielles. Mais dire qu'autre chose est possible, ici. Plus les jours passent et plus j'ai envie de guetter la lumière, à plus forte raison si elle s'amenuise. Rester du côté du soleil.

Philippe Delerm
Le trottoir au soleil

Pour mon ami Jean, qui a franchi depuis quelques années - comme moi - le solstice d'été.

mercredi 27 juillet 2011

Jouer des quatre membres

Cette vidéo a au moins pour mérite de montrer qu'avec un orgue, c'est des quatre membres que l'on doit jouer... A part cela, cette gigue de Bach (Jean Sébastien, pas Jacques Offen) est bien interprétée par ce jeune homme. La technique est bonne, très bonne même, peut-être y manque-t-il un peu d'âme...




jeudi 21 juillet 2011

La beauté

Si nous revenons au thème de la beauté, nous pouvons dire que dans la durée qui habite une conscience, la beauté attire la beauté, en ce sens qu'une expérience de beauté rappelle d'autres expériences de beauté précédemment vécues, et dans le même temps, appelle aussi d'autres expériences de beauté à venir. Plus l'expérience de beauté est intense, plus le caractère poignant de sa brièveté engendre le désir de renouveler l'expérience, sous une forme forcément autre, puisque toute expérience est unique. Autrement dit, dans la conscience en question, nostalgie et expérience confondues, chaque expérience de beauté rappelle un paradis perdu et appelle un paradis promis. 

Deuxième méditation
François Cheng
Cinq méditations sur la beauté

vendredi 24 juin 2011

La tristesse et la joie

Il y a quelque chose de terrible dans chaque vie. Il y a, dans le fond de chaque vie, une chose terriblement lourde, dure et âpre. Comme un dépôt, un plomb, une tache. Un dépôt de tristesse, un plomb de tristesse, une tache de tristesse. A part les saints et quelques chiens errants, nous sommes tous plus ou moins contaminés par la maladie de la tristesse. Plus ou moins. Même dans nos fêtes, elle peut se voir. La joie est la matière la plus rare dans ce monde. Elle n'a rien à voir avec l'euphorie, l'optimisme ou l'enthousiasme. Elle n'est pas un sentiment. Tous nos sentiments sont soupçonnables. La joie ne vient pas du dedans, elle surgit du dehors - une chose de rien, circulante, aérienne, volante. On lui accorde beaucoup moins de crédit qu'à la tristesse qui, elle, fait valoir ses antécédents, son poids, sa profondeur. La joie n'a aucun antécédent, aucun poids, aucune profondeur. Elle est toute en commencements, en envols, en vibrations d'alouette. C'est la chose la plus précieuse et la plus pauvre du monde. Il n'y a guère que les enfants pour la voir. Les enfants, les saints, les chiens errants.

Christian Bobin
La plus que vive

Au détour d'une phrase, j'ai parfois envie de dire à ce magnifique (et humble) auteur que je ne suis pas d'accord, que je ne veux pas entrer en concurrence avec les chiens errants par exemple, et puis une évidence, une lumière rayonnante sinon éblouissante, un quasi-absolu, une profonde simplicité... et je ressors apaisé et serein, livré le cœur lié au partage.

lundi 13 juin 2011

L'aucteur au lecteur

En feuilletant les Essais de Michel Montaigne, imprimés (en 1843) en français de 1580 par Lavigne, libraire-éditeur à Paris, je  me suis intéressé pour une fois à l'avant-propos de l'auteur. Et ce que j'y ai trouvé, je peux facilement, avec un strict minimum d'imagination, le transposer au contenu de mon blog. Amis lecteurs, passez au-delà de la difficulté épisodique de lire le vieux françois, et suivez-moi. Ah, juste une précision, je ne suis pas pressé, moi, que mes parents et amis me perdent...

L'aucteur au lecteur

C'est icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dez l'entree, que ie ne m'y suis proposé aulcune fin, que domestique et privee: ie n'y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire; mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Ie l'ay voué à la commodité particuliere des mes parents et amis: à ce que m'ayants perdu (ce qu'ils ont à faire bientost), ils y puissent retrouver quelques traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve la cognoissance qu'ils ont euë de moy. Si c'eust été pour rechercher la faveur du monde, ie me feusse paré de beautez empruntees: ie veulx qu'on m'y veoye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice; car c'est moy que ie peinds. Mes deffauts s'y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïfve, autant que la reverence publicque me l'a permis. Que si i'eusse esté parmy ces nations qu'on dict vivre encore soubs la doulce liberté des premieres loix de nature, ie t'asseure que ie m'y feusse tresvolontiers peinct tout entier et tout nud. Ainsi, lecteur, ie suis moy mesme la matiere de mon livre; ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subiect si frivole et si vain; adieu donc.

De Montaigne, ce 12 de juin 1580.

mercredi 8 juin 2011

Duo des fleurs

Celles et ceux qui ont la gentillesse de suivre sur mon blog mes élucubrations, circonvolutions, considérations, observations, appréciations, divagations et autres réflexions (parfois) ont certainement remarqué que je fais souvent appel à YouTube et principalement à des extraits de concerts de musique classique, qui sont autant de coups de cœur que j'invite à partager avec moi. J'en ai déjà cité beaucoup et ce n'est pas fini...

Ce que je présente ce matin est le Duo des Fleurs, tiré de Lakmé, opéra de Léo Delibes. Anna Netrebko (soprano) et Elina Garanca (mezzo-soprano) en sont les interprètes. Je ne les connais pas, et je ne sais rien non plus de l'orchestre et du chef, mais qu'importe, écoutons sans fermer les yeux pour apprécier de si gracieuses personnes...

mardi 31 mai 2011

Bateau ivre

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;
...

 photo prise auprès de Saumur, juillet 2008

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

Arthur Rimbaud

Ivresse des mots émotionnels, éternelle beauté de poésie pure...

mardi 17 mai 2011

Ave Maria de Caccini

Nous connaissons tous l'illustrissime Adagio pour orchestre à cordes et orgue, présenté comme une œuvre de musique baroque sous le nom d'Adagio d'Albinoni (1671-1751). Nous savons aussi que cette œuvre a été composée en fait en 1945 par le musicologue italien Remo Giazzoto (1910-1998) à partir d’un fragment contenant quelques éléments d’une œuvre perdue de Tomaso Albinoni.
L'Ave Maria de Caccini, que je présente aujourd'hui, est une œuvre, un pastiche peut-on dire, composée en réalité par Vladimir Vavilov en 1970.
On ne sait pas d’où vient l’attribution à Giulio Caccini (1551-1618) car Vavilov a édité et enregistré sa composition comme une œuvre anonyme. L’attribution à Caccini est d’autant plus étonnante que cet Ave Maria est totalement étranger au style du compositeur italien et à celui de son époque (source : Wikipedia).
Au passage, je découvre Sumi Jo, soprano sud-coréenne. Jolie voix, jolie personne en plus...

jeudi 28 avril 2011

Les deux Cités

La Vie m'enleva sur ses ailes et me transporta au sommet du mont Jeunesse. Puis elle me fit signe de regarder derrière moi. Je me retournai et je vis une cité étrange, d'où s'élevait une fumée sombre aux multiples couleurs qui se mouvaient lentement tels des fantômes. Un mince nuage dissimulait presque entièrement la cité à mon regard.
Après un instant de silence, je m'exclamai: "Vie, qu'est-ce là ce que je vois?"
Et la Vie répondit: "C'est la Cité du Passé. Contemple-la et médite."
J'observai ce spectacle merveilleux et j'aperçus maints objets et monuments: les salles construites pour l'Action, dressées tels des géants sous les ailes du Sommeil; les temples de la Parole autour desquels planaient des esprits qui hurlaient de désespoir et chantaient des chants d'espoir. Je vis les églises bâties par la Foi et détruites par le Doute. Je distinguai les minarets de la Pensée, leurs flèches dressées telles les mains tendues des mendiants; je vis les avenues du Désir d'étirer comme des rivières dans les vallées; les entrepôts de secrets gardés par les sentinelles de la Dissimulation et pillés par les voleurs de la Révélation; les tours de la Puissance érigées par le Courage et démolies par la Peur; les temples des Rêves, embellis par le Sommeil et anéantis par la Vigilance; les petites cahutes habitées par la Fragilité; les mosquées de la Solitude et de l'Abnégation; les instituts d'enseignement illuminés par l'Intelligence et enténébrés par l'Ignorance; les tavernes de l'Amour, où les amants s'enivraient et où le Néant se moquait d'eux; les théâtres sur la scène desquels la Vie jouait son rôle et où la Mort parachevait les tragédies de la Vie.
Telle est la Cité du Passé -en apparence lointaine mais en réalité proche-, visible, bien qu'à peine, entre les nuages sombres.
Puis la Vie me fit signe et dit: "Suis-moi. Nous nous sommes trop longtemps attardés." Je demandai: "Vie, où allons-nous?"
Et la Vie répondit: "Dans la Cité du Futur."
Alors je dis: "Vie, aie pitié de moi. je suis las, mes pieds sont meurtris et mes forces m'ont quitté."
Mais la Vie rétorqua: "Continue d'avancer, mon ami. S'attarder n'est que lâcheté. Rester à tout jamais à contempler la Cité du Passé n'est que Déraison. Vois, la Cité du Futur te fait signe..."

Khalil Gibran
La voix de l'éternelle sagesse
Traduction de Pascale Haas

mercredi 6 avril 2011

La bande-son d'un livre

Tout livre bien né devrait être un exercice rythmique; l'auteur le sent en le murmurant, ce qui revient à lui faire subir une lecture silencieuse; il arrive parfois qu'il en capte la musique intérieure; il lui en faut moins alors pour croire que la grâce lui est tombée dessus. Job est aussi le patron des musiciens et des ménestrels...
On ignore l'intonation originelle du Livre de Job. Question de souffle et de respiration, la poésie est une affaire pneumatique. Difficile d'entendre un poème dans ces conditions et de capter son énergie secrète sans l'avoir dans le creux de l'oreille. Qui saura jamais dire la couleur musicale des silences de Job?
Chaque livre a sa bande originale. Une bande-son. La musique dans le livre et la musique du livre. Elles sont plus secrètes que les musiques du film car elles ne s'affichent pas; on les chercherait en vain dans les rayons des disquaires; les radios ne les diffusent pas.

Pierre Assouline
Vies de Job
Éditions NRF

Livre dense, riche et presque pathétique d'un biographe cerné par son personnage et qui, après tant de recherches, de rencontres, de voyages (dans le temps et l'espace), de découvertes, de télescopages, se pose encore beaucoup de questions, comme tout lecteur exégète de la Bible.

mercredi 16 mars 2011

Retour d'Afrique

La scène qui suit a eu lieu sur un vol d'une compagnie aérienne entre Johannesbourg et Londres, au temps de l'apartheid.
Une femme blanche, d'environ cinquante ans, s'assied à côté d'un Noir. Visiblement perturbée, elle appelle l'hôtesse de l'air.
- Quel est votre problème, Madame ? demande l'hôtesse.
- Mais vous ne le voyez donc pas ? répond la dame. Vous m'avez placée à côté d'un Noir. je ne supporte pas de rester à côté d'un de ces êtres répugnants. Donnez-moi un autre siège.
- S'il vous plaît, calmez-vous, dit l'hôtesse. Presque toutes les places de ce vol sont prises. Je vais voir s'il y a une place disponible.
L'hôtesse s'éloigne et revient quelques minutes plus tard.
- Madame, comme je le pensais, il n'y a plus aucune place libre dans la classe économique. J'ai parlé au commandant et il m'a confirmé qu'il n'y a plus de place non plus dans la classe exécutive. Toutefois, nous avons encore une place en première classe.
Avant que la dame puisse faire le moindre commentaire, l'hôtesse continue
- Il est tout-à-fait inhabituel dans notre compagnie de permettre à une personne de classe économique de s'asseoir en première classe. Mais, vu les circonstances, le commandant trouve qu'il serait scandaleux d'obliger quelqu'un à s'asseoir à côté d'une personne aussi désagréable.
Et, s'adressant au Noir
- Donc, Monsieur, si vous le souhaitez, prenez votre bagage à main, car un siège de première classe vous attend.
Et tous les passagers autour qui, choqués, assistaient à la scène, se sont levés et ont applaudi...

Lu dans le petit livret "Voyage intérieur, paroles pour toutes les circonstances de la vie", textes recueillis par Jean-Yves Bonnamour. Vu chez Maguy (Belle-Maman)

jeudi 10 mars 2011

Schubert sans Barry Lyndon

Je veux donner une suite rectificative à mon message du 12 août 2009 (Musique et film). Loin d'ignorer les somptueux tableaux pastels et les foudroyants clairs-obscurs réalisés par Stanley Kubrick dans son film Barry Lyndon, je veux écouter pleinement et pour elle seule la musique qui berce presque mystérieusement les images du film (mais la douceur n'est que dans les images, pas dans le caractère de Barry Lyndon)...
Je veux donc écouter jusqu'à la petite mort le deuxième mouvement (andante) du deuxième Trio pour piano, violon et violoncelle de Franz Schubert. Ce morceau est magnifiquement interprété par Frank Braley (piano), Renaud Capuçon (violon) et Gautier Capuçon (violoncelle), flamboyante jeunesse au service de la poésie. Ils rejoignent dans le Panthéon des sept notes des maîtres universellement reconnus (Richter, Horowitz, Rostropovitch, Stern, Menuhin, pour ne citer qu'eux).
On s'asseoit, on se tait, on ferme ou non les yeux et on écoute...

mercredi 2 mars 2011

Des hommes et des animaux

Il nous est arrivé quelque chose d'étrange : tous nos sentiments et nos idées ont changé. Nous voyons en la mort le bref, rapide dernier instant, un sauveur, un libérateur venant briser nos chaînes. Les bêtes de la forêt me sont devenues si chères, me semblent si aimables, que cela me fait mal au cœur d'entendre comparer les criminels régnant aujourd'hui sur l'Europe à des animaux. Il n'est pas vrai que Hitler ait quelque chose de bestial. Il est, j'en suis profondément convaincu, un produit typique de l'humanité moderne. C'est l'humanité dans son ensemble qui l'a engendré et élevé et il exprime ouvertement, sans détour, ses désirs les plus intimes et les plus secrets.
Une nuit, dans une forêt où je me cachais, j'ai rencontré un chien, un chien malade, affamé, peut-être aussi fou, avec sa queue entre les jambes. Nous avons immédiatement senti tous deux la ressemblance entre nos conditions, car celle des chiens n'est nullement meilleure que la nôtre. Il s'est blotti contre moi, a enfoui sa tête dans mon giron et m'a léché les mains. Je crois n'avoir jamais pleuré comme cette nuit-là; je l'ai pris dans mes bras et j'ai sangloté comme un enfant. Si je déclare qu'en ce temps-là j'enviais les bêtes, personne ne s'en étonnera. Mais ce que j'éprouvais à cet instant, c'était plus que de l'envie, c'était de la honte. J'avais honte devant ce chien d'être non un chien mais un homme. Voilà donc à quoi nous en sommes arrivés: à penser que la vie est un malheur, la mort une délivrance, l'être humain un fléau, l'animal un idéal, le jour une horreur, la nuit une rémission.

Extrait de Yossel Rakover s'adresse à Dieu, de Zvi Kolitz, traduit de l'allemand par Léa Marcou.

Ce court texte (23 pages), absolument magnifique, intense, lumineux et dépouillé, donc essentiel, a été publié en septembre 1946 par une revue yiddish de Buenos Aires. Il se présente comme l'ultime message d'un combattant du ghetto de Varsovie, qui sait bien qu'il va mourir après avoir tout perdu, ses biens, sa femme et ses six enfants.
Très vite, l'intense apostrophe de Yossel Rakover qui, tel un nouveau Job, appelle Dieu à la barre, va devenir un symbole, le dernier testament de la révolte contre l'injustice. (4ème de couverture)

Le texte a vite échappé à son auteur. Il a fallu toute la patience et l'obstination d'un journaliste allemand, Paul Budde, pour retrouver l'auteur et reconstituer un invraisemblable puzzle. Cette véritable aventure suit le texte Yossel Rakover... dans le livre de Zvi Kolitz.

J'ai découvert ce texte (ce livre) grâce au livre Vies de Job, de Pierre Assouline, que je suis en train de lire et dont je parlerai peut-être prochainement.

dimanche 20 février 2011

Au coeur du coeur

A toi, Michèle de Malataverne, ce poème d'Andrée Chedid, pour un clin d'œil de merci, d'amitié et d'affection.

Au cœur de l'espace
Le Chant

Au cœur du chant
Le Souffle

Au cœur du souffle
Le Silence

Au cœur du silence
L'Espoir

Au cœur de l'espoir
L'Autre

Au cœur de l'autre
L'Amour

Au cœur du cœur
Le Cœur

Rythmes
2003

jeudi 17 février 2011

Mahler, 4 - 4

Il y a de fort nombreuses années que j'emmène dans ma traîne personnelle, comme une comète dont je voudrais presque me prétendre à être le seul à percevoir la brillance, l'énergie et le calme fondateur, le 4° mouvement de la symphonie n° 4 de Gustav Mahler. Mais c'est tellement plus riche de se résoudre à le partager...
La version que je présente est excellente (Léonard Bernstein, à la tête du Philharmonique de Vienne, c'est un must, absolument) bien que je n'apprécie pas exactement Edith Mathis (c'est mon goût personnel). Ce morceau est inspiré du Cor enchanté de l'enfant (Des Knaben Wunderhorn) du même compositeur.
Un morceau qui me suivra dans l'au-delà... mais je ne suis pas pressé, j'ai encore besoin de le déguster...

lundi 14 février 2011

La pure essence de l'Amour

Tantôt humilié, tantôt exalté, caché maintenant, manifesté tout à l'heure. Pour être un jour comblé par la dilection, il faut risquer mainte aventure avant d'atteindre ce point où l'on goûte la pure essence de l'Amour.

Frère Christophe, 11 janvier 1994

Frère Christophe était l'un des sept moines de Tibhirine assassinés entre le 27 mars et le 21 mai 1996 (quelle date exacte?, peu importe).
J'ai lu ce texte dans le livre Des hommes et des dieux qui complète l'excellent film éponyme de Xavier Beauvois. Merci encore Maguy Belle-Maman.
Qu'aurais-je fait à la place des moines ? Il n'y a rien à juger, peut-être seulement à admirer...

jeudi 10 février 2011

La philia

Bien avant Jésus, Aristote, le brillant disciple de Platon (lui-même disciple de Socrate, ndlr), avait déjà fait évoluer la notion d'amour. Pour lui, l'amour n'est pas que désir. Il peut aussi se manifester dans l'amitié qui permet à des êtres humains de se réjouir ensemble dans un partage réciproque. Cet amour d'amitié, qu'il nomme philia, pour le distinguer d'eros, Aristote n'hésite pas à affirmer qu'il constitue, avec la contemplation divine, la plus noble activité de l'homme, celle qui lui permet d'être véritablement heureux (Ethique à Nicomaque). Cette conception ne supprime en rien la vision socratique, mais la complète: sans aller jusqu'à la contemplation divine, l'amour humain peut s'épanouir dans le plaisir et la joie; il n'est plus seulement une pulsion, un désir fondamentalement ambivalent, ni toujours un manque ou une insatisfaction. Aristote fait ainsi de l'amour une expérience joyeuse et une vertu.

Frédéric Lenoir
Socrate, Jésus, Bouddha, trois maîtres de vie.

mardi 25 janvier 2011

Insensé...


Insensé l'homme
qui s'abreuve à la mare
et oublie la fontaine
au cœur de sa demeure.

Angelus Silesius
La rose est sans pourquoi
Calligraphie de Vincent Geneslay

Petit livret composé de calligraphies illustrant des extraits du Pèlerin chérubinique d'Angelus Silesius, chef d'œuvre de la littérature allemande du XVII° siècle, commentés par Christiane Singer ("Proches de nous jusqu'au vertige, les distiques ineffables du Pèlerin chérubinique viennent comme à l'instant même de monter des profondeurs. Ils nous harponnent... Pas de soliloque. L'apostrophe, l'interpellation, partout l'appel ardent!")

dimanche 16 janvier 2011

Trouver dans ma vie ta présence

Ce chant, ce cantique, me donne la chair de poule... c'est vrai et c'est peut-être bien, mais ce n'est pas suffisant... il résonne surtout au plus profond de moi... émotion, ferveur, communion, échange(s), partage... Ce chant, qui pourrait très bien être aussi un Chant des Chants, est une merveilleuse passerelle entre deux mondes dans lesquels je me sens si bien et dont je parlerai peut-être un jour. Pour ma vérité, je veux dire merci à celles et ceux qui m'ont mis sur le chemin vers là où je suis (avec Elle, qui plus est): d'une part, Maurice, Chantal et Claude sans oublier Sophie et, d'autre part, Charlotte.

La version que je présente est la meilleure de celles que j'ai entendues sur YouTube. Elle est minimaliste (accompagnement du seul piano) mais ce n'en est que mieux. Et les voix des ados de Vox Angeli donnent un air frais de pureté et de grâce. 

Écoutons, les yeux fermés pour regarder à l'intérieur ou les yeux ouverts sur le monde.

vendredi 14 janvier 2011

D'eux deux

D'eux deux il en était ainsi
Comme du chèvrefeuille était
Qui au coudrier se prenait
Quand il s'est enlacé et pris
Et tout autour le fût s'est mis,
Ensemble peuvent bien durer
Qui les veut après désunir
Fait tôt le coudrier mourir
Et le chèvrefeuille avec lui.
- "Belle amie, ainsi est de nous :
Ni vous sans moi, ni moi sans vous."

Marie de France (XII° siècle)
Cité par Pierre Seghers
dans Le Livre d'or de la poésie française

mercredi 5 janvier 2011

La Manic, et plus

Il y bien longtemps que La Manic, chanson de et par Georges Dor (1931-2001, québécois, auteur, essayiste, compositeur, dramaturge, chanteur, poète, réalisateur de théâtre) me trotte dans la tête. Cette chanson est une lettre d'amour écrite par un ouvrier de construction sur le projet de barrage hydroélectrique de Manicouagan (Québec). Complainte élégante et noble.




Depuis La Manic, j'ai découvert une autre chanson de Georges Dor, Une boîte à chansons, grâce à Claude Nesme, Président et co-fondateur de l'Association Métamorphose, qui l'interprète avec beaucoup de sensibilité. Voici cette chanson. Pour compenser les images fixes, j'ai reporté en dessous les paroles. Autre merveille.



Une boîte à chansons
C'est comme une maison
C'est comme un coquillage
On y entend la mer
On y entend le vent
Venu du fond des âges

On y entend battre les cœurs à l'unisson
Et l'on envoie toutes les couleurs de nos chansons (x2)

Un mot parmi les hommes
Comme un grand feu de joie
Un vieux mot qui résonne
Un mot qui dirait tout
Et qui ferait surtout
Que la vie nous soit bonne

C'est ce vieux mot que je m'en vais chercher pour toi
Un mot de passe qui nous ferait trouver la joie (x2)

Irai-je jusqu'à vous ?
Viendrez-vous jusqu'à moi ?
En ce lieu de rencontre
Là où nous sommes tous
Jouant chacun pour soi
Le jeu du pour ou contre

Tu entendras battre mon cœur et moi le tien
Si tu me donnes ta chaleur moi mon refrain (x2)


Puisque nous sommes avec Georges Dor, restons-y 3 minutes 33 avec une dernière chanson, Un homme libre, découverte sur YouTube. Engagée.