mercredi 29 juillet 2009

Donald Shimoda

Ce nom vous dit-il quelque chose ? Oui ? Non ? C'est celui du Messie, dans Le Messie récalcitrant de Richard Bach, l'auteur de Jonathan Livingston le Goéland. Je viens de relire ce livre 23 ans après la première fois et je ne devais sûrement pas avoir les mêmes lunettes internes. Certes, on n'y trouve pas la puissance, la subtilité, la profondeur d'autres livres qui conduisent notre recherche, pour ne pas dire notre vie, mais au-dessous d'anecdotes amusantes, on peut ouvrir un coffret à réflexions génératrices d'échanges potentiels. Voici quelques pépites extraites de ce ruisseau aurifère.

Ce que la chenille appelle la fin du monde, le Maître (on peut dire le Sage) l'appelle un papillon.

Afin de vivre libre et joyeux, tu dois sacrifier l'ennui. Ce n'est pas toujours un sacrifice facile.

Voici une épreuve pour découvrir si ta mission sur terre est terminée: si tu es vivant, c'est qu'elle ne l'est pas.

Il n’est jamais un problème qui n’ait un cadeau pour toi entre ses mains.

Il ne t’est jamais donné un désir sans que te soit donné le pouvoir de le rendre réalité.

lundi 27 juillet 2009

Trois traces de Christian Bobin

La lecture de La dame blanche (Emily Dickinson) de Christian Bobin réserve au lecteur des moments d'ivresse des cimes, d'intense richesse, de (re)découverte. Avant d'en parler éventuellement, il faudra certainement que je relise cet ouvrage, mieux, que je le déguste. En attendant, voici trois traces, prises parmi les métaphores et aphorismes de cet excellent (comme tous les Bobin !) petit opus.

Le néant et l'amour sont de la même race terrible. Notre âme est le lieu de leur empoignade indécise.

Rencontrer quelqu'un, le rencontrer vraiment - et non simplement bavarder comme si personne ne devait mourir un jour -, est une chose infiniment rare. La substance inaltérable de l'amour est l'intelligence partagée de la vie.

Parfois quelqu'un surgit qui nous sauve de notre personnage, que nous avions fini par confondre avec notre personne. Une telle résurrection demande deux choses - de l'audace, et de l'amour. L'audace est comme le feu qui ne s'embarrasse d'aucune nuance de bois. L'amour est la bienveillance inlassablement maintenue.

samedi 25 juillet 2009

Albert Cohen et les poètes

J'ai lu avec grand plaisir Le livre de ma mère d'Albert Cohen. Beaucoup disent qu'il s'agit là d'un livre bouleversant, émouvant, déchirant... C'est exact. Je dois cependant dire que son côté obsessionnel m'a parfois pesé sur l'estomac et pourtant mon frère et moi - mais moi pas tout-à-fait comme Marc - nous sommes concernés par le même souvenir d'une mère.

Je ne veux pas qu'elle soit morte. Je veux un espoir... Qui me donnera la croyance en une merveilleuse vie où je retrouverai ma mère ? Frères, ô mes frères humains, forcez-moi à croire en une vie éternelle, mais apportez-moi de bonnes raisons et non de ces petites blagues qui me donnent la nausée tandis que, honteux de vos yeux convaincus, je réponds oui, oui, d'un air aimable. Ce ciel où je veux revoir ma mère, je veux qu'il soit vrai et non une invention de mon malheur.

Mais ce n'est pas pour une mère - aussi présente soit-elle - que je veux parler de ce livre.
Pendant plusieurs semaines, je me suis gavé de poésie, en recherchant certes des passages qui s'adressaient à une personne bien précise mais en vivant aussi une véritable jouissance intellectuelle favorisant entre autres l'envie d'écrire moi aussi. Certes, je me suis, en ce qui concerne les poètes modernes, obstiné comme une mouche contre une vitre sur de longs passages abscons (voir mon message L'évidence poétique du 28 mai 2009) et je me suis parfois demandé si tel poète ne racontait pas en somme n'importe quoi pour faire joli ou pour tromper son lecteur. Mais je ne me suis pas déchaîné contre les poètes comme Albert Cohen.

Les poètes qui ont chanté la noble et enrichissante douleur ne l'ont jamais connue, âmes tièdes et petits cœurs, ne l'ont jamais connue, malgré qu'ils aillent à la ligne et qu'ils créent génialement des blancs saupoudrés de mots, petits feignants, impuissants qui font de nécessité vertu. Ils ont des sentiments courts et c'est pour ça qu'ils vont à la ligne. Faiseurs de chichis, prétentieux nains juchés sur de hauts talons et agitant le hochet de leurs rimes, si embêtants, faisant un sort à chaque mot excrété, si fiers d'avoir des tourments d'adjectifs, tout ravis dès qu'ils ont écrit quatorze lignes, vomissant devant leur table quelques mots où ils voient mille merveilles et qu'ils suçotent et vous forcent à suçoter avec eux, avisant les populations de leurs rares mots sortis, rembourrant de culot leurs maigres épaules, rusés managers de leur génie constipé, tout persuadés de l'importance de leur pouahsie. La douleur qui rabâche et qui transpire, la bouche entrouverte, ils n'en chanteraient pas la beauté s'ils l'avaient connue, et ils ne nous diraient pas que rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur, ces petits bourgeois qui n'ont rien acheté à prix de sang. Je la connais, la douleur, et je sais qu'elle n'est ni noble ni enrichissante mais qu'elle te ratatine et réduit comme tête bouillie et rapetissée de guerrier péruvien, et je sais que les poètes qui souffrent tout en cherchant des rimes et qui chantent l'honneur de souffrir, distingués nabots sur leurs échasses, n'ont jamais connu la douleur qui fait de toi un homme qui fut.

Autant dire que je suis loin de partager les mots d'Albert Cohen, mais a-t-il toujours faux ?