mercredi 27 octobre 2010

Légèreté

Je n'écris pas avec de l'encre. J'écris avec ma légèreté. Je ne sais pas si je me fais bien entendre: l'encre, je l'achète. Mais la légèreté, il n'y a pas de magasin pour ça. Elle vient ou ne vient pas, c'est selon. Et quand elle ne vient pas, elle est quand même là. Vous comprenez? La légèreté, elle est partout, dans l'insolente fraîcheur des nuits d'été, sur les ailes d'un livre abandonné au bas d'un lit, dans la rumeur des cloches de monastère à l'heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d'une lumière au détour d'un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer les volets sur le soir, dans la fine touche de bleu, bleu pâle, bleu-violet sur les paupières d'un nouveau-né, dans la douceur d'ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l'instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant sur le sol et dans la maladresse d'un chien glissant sur un étang gelé, j'arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée. Et si en même temps elle est rare, d'une rareté incroyable, c'est qu'il nous manque l'art de recevoir, simplement recevoir ce qui nous est partout donné.

Christian Bobin
La folle allure

Je découvre ce livre plus de quinze ans après sa parution. Je découvre, toujours avec appétit d'apprendre et soif de lire, les livres de Christian Bobin, même si je dois à ma vérité de dire que parfois, au détour d'un paragraphe ou entre deux pages, je sens la crispation d'un léger énervement envers ce qui me paraît être des sentences systématiques. Mais je pardonne vite à cet auteur avec qui je partage Mozart et Rimbaud...

Tous les enfants ne sont pas Mozart, mais Mozart est toute l'enfance: une manière de danser sur l'eau, une façon de dormir sur l'abîme. Tous les enfants ne sont pas Rimbaud, mais Rimbaud est toute l'enfance: un goût innocent de la ruse, une joie des ritournelles et des pierres brillantes.

La folle allure

mardi 5 octobre 2010

Enivrez-vous d'étreintes

Jardin fermé, ma soeur-fiancée, onde fermée, source scellée!
Tes effluves, un paradis de grenades,
avec le fruit des succulences, hennés avec nards;
nard, safran, canne et cinnamome avec tous les bois d'oliban;
myrrhe, aloès, avec toutes les têtes d'aromates!
Sources des jardins, puits, eaux vives, liquides du Lebanôn!
Eveille-toi, aquilon! Viens, simoun, gonfle mon jardin!
Que ses aromates ruissellent!
Mon amant est venu dans son jardin; il mange le fruit de ses succulences.

Je viens dans mon jardin, ma soeur-fiancée,
j'égrappe ma myrrhe avec mon aromate,
je mange mon rayon avec mon miel, je bois mon vin avec du lait.
Mangez, compagnons, buvez, enivrez-vous d'étreintes!

Extrait du Cantique des Cantiques (Poème des Poèmes)
La Bible, traduite par André Chouraqui