jeudi 26 novembre 2009

Musique

Tout est mouvement dans mon être ;
Tout est musique devant moi :
J'entends la voix de mon émoi ;
J'écoute la chanson du hêtre.

Tout est harmonie en ce lieu ;
Tout est poésie à cette heure :
Tout ce qui rit, tout ce qui pleure,
C'est des stances que dit le dieu.

L'odeur qui du jardin s'élève,
La guirlande de mes amours,
Tout est musique aux alentours,
Tout est mouvement dans mon rêve.

Tout est cadence, ce matin ;
Tout est rythme en ce paysage :
L'aube qui baigne mon visage,
L'ombre qui fuit vers le lointain.

Et, là-bas, la courbe énergique
Qui joint les monts au firmament,
C'est encore du mouvement,
C'est encore de la musique.

Fernand Mazade
1863 - 1939

mardi 17 novembre 2009

Il va neiger...

Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens
de l'an dernier. Je me souviens de mes tristesses
au coin du feu. Si l'on m'avait demandé : qu'est-ce ?
J'aurais dit : laissez-moi tranquille, ce n'est rien.

J'ai bien réfléchi, l'année d'avant, dans ma chambre,
pendant que la neige lourde tombait dehors.
J'ai réfléchi pour rien. A présent comme alors
je fume une pipe en bois avec un bout d'ambre.

Ma vieille commode en chêne sent toujours bon.
Mais moi j'étais bête parce que ces choses
ne pouvaient pas changer et que c'est une pose
de vouloir chasser les choses que nous savons.

Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous ? C'est drôle ;
nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas
et cependant nous les comprenons, et les pas
d'un ami sont plus doux que de douces paroles.

On a baptisé les étoiles sans penser
qu'elles n'avaient pas besoin de nom, et les nombres
qui prouvent que les belles comètes dans l'ombre
passeront, ne les forceront pas à passer.

Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses
de l'an dernier ? A peine si je m'en souviens.
Je dirais : laissez-moi tranquille, ce n'est rien,
si dans ma chambre on venait me demander : qu'est-ce ?

Francis Jammes (1868 - 1938)
De l'Angelus de l'Aube à l'Angelus du Soir

samedi 7 novembre 2009

Humanité

Il est vrai que beaucoup de gens prennent plaisir à haïr. "Haïr est sacré" disait Zola. Haïr donne aux gens l'impression qu'ils ont des principes et des opinions. Mais j'objecterai que découvrir un trait admirable ou touchant chez quelqu'un d'incompréhensible ou de détestable n'est certainement pas moins satisfaisant. Les sentiments humains partagés, les larmes qui montent aux yeux devant la souffrance de complets étrangers, sont parmi les émotions les plus profondes. Chaque fois que nous en faisons l'expérience, nous redécouvrons notre appartenance à l'immense famille qu'est l'humanité. Humanité signifie à la fois "tout le monde" et "bonté". Rares sont les gens qui sont totalement dépourvus de bonté. Découvrir ce précieux filon sous un sol pierreux compte parmi les défis les plus exaltants.

Théodore Zeldin
De la conversation
Comment parler peut changer votre vie.