mercredi 16 mars 2011

Retour d'Afrique

La scène qui suit a eu lieu sur un vol d'une compagnie aérienne entre Johannesbourg et Londres, au temps de l'apartheid.
Une femme blanche, d'environ cinquante ans, s'assied à côté d'un Noir. Visiblement perturbée, elle appelle l'hôtesse de l'air.
- Quel est votre problème, Madame ? demande l'hôtesse.
- Mais vous ne le voyez donc pas ? répond la dame. Vous m'avez placée à côté d'un Noir. je ne supporte pas de rester à côté d'un de ces êtres répugnants. Donnez-moi un autre siège.
- S'il vous plaît, calmez-vous, dit l'hôtesse. Presque toutes les places de ce vol sont prises. Je vais voir s'il y a une place disponible.
L'hôtesse s'éloigne et revient quelques minutes plus tard.
- Madame, comme je le pensais, il n'y a plus aucune place libre dans la classe économique. J'ai parlé au commandant et il m'a confirmé qu'il n'y a plus de place non plus dans la classe exécutive. Toutefois, nous avons encore une place en première classe.
Avant que la dame puisse faire le moindre commentaire, l'hôtesse continue
- Il est tout-à-fait inhabituel dans notre compagnie de permettre à une personne de classe économique de s'asseoir en première classe. Mais, vu les circonstances, le commandant trouve qu'il serait scandaleux d'obliger quelqu'un à s'asseoir à côté d'une personne aussi désagréable.
Et, s'adressant au Noir
- Donc, Monsieur, si vous le souhaitez, prenez votre bagage à main, car un siège de première classe vous attend.
Et tous les passagers autour qui, choqués, assistaient à la scène, se sont levés et ont applaudi...

Lu dans le petit livret "Voyage intérieur, paroles pour toutes les circonstances de la vie", textes recueillis par Jean-Yves Bonnamour. Vu chez Maguy (Belle-Maman)

jeudi 10 mars 2011

Schubert sans Barry Lyndon

Je veux donner une suite rectificative à mon message du 12 août 2009 (Musique et film). Loin d'ignorer les somptueux tableaux pastels et les foudroyants clairs-obscurs réalisés par Stanley Kubrick dans son film Barry Lyndon, je veux écouter pleinement et pour elle seule la musique qui berce presque mystérieusement les images du film (mais la douceur n'est que dans les images, pas dans le caractère de Barry Lyndon)...
Je veux donc écouter jusqu'à la petite mort le deuxième mouvement (andante) du deuxième Trio pour piano, violon et violoncelle de Franz Schubert. Ce morceau est magnifiquement interprété par Frank Braley (piano), Renaud Capuçon (violon) et Gautier Capuçon (violoncelle), flamboyante jeunesse au service de la poésie. Ils rejoignent dans le Panthéon des sept notes des maîtres universellement reconnus (Richter, Horowitz, Rostropovitch, Stern, Menuhin, pour ne citer qu'eux).
On s'asseoit, on se tait, on ferme ou non les yeux et on écoute...

mercredi 2 mars 2011

Des hommes et des animaux

Il nous est arrivé quelque chose d'étrange : tous nos sentiments et nos idées ont changé. Nous voyons en la mort le bref, rapide dernier instant, un sauveur, un libérateur venant briser nos chaînes. Les bêtes de la forêt me sont devenues si chères, me semblent si aimables, que cela me fait mal au cœur d'entendre comparer les criminels régnant aujourd'hui sur l'Europe à des animaux. Il n'est pas vrai que Hitler ait quelque chose de bestial. Il est, j'en suis profondément convaincu, un produit typique de l'humanité moderne. C'est l'humanité dans son ensemble qui l'a engendré et élevé et il exprime ouvertement, sans détour, ses désirs les plus intimes et les plus secrets.
Une nuit, dans une forêt où je me cachais, j'ai rencontré un chien, un chien malade, affamé, peut-être aussi fou, avec sa queue entre les jambes. Nous avons immédiatement senti tous deux la ressemblance entre nos conditions, car celle des chiens n'est nullement meilleure que la nôtre. Il s'est blotti contre moi, a enfoui sa tête dans mon giron et m'a léché les mains. Je crois n'avoir jamais pleuré comme cette nuit-là; je l'ai pris dans mes bras et j'ai sangloté comme un enfant. Si je déclare qu'en ce temps-là j'enviais les bêtes, personne ne s'en étonnera. Mais ce que j'éprouvais à cet instant, c'était plus que de l'envie, c'était de la honte. J'avais honte devant ce chien d'être non un chien mais un homme. Voilà donc à quoi nous en sommes arrivés: à penser que la vie est un malheur, la mort une délivrance, l'être humain un fléau, l'animal un idéal, le jour une horreur, la nuit une rémission.

Extrait de Yossel Rakover s'adresse à Dieu, de Zvi Kolitz, traduit de l'allemand par Léa Marcou.

Ce court texte (23 pages), absolument magnifique, intense, lumineux et dépouillé, donc essentiel, a été publié en septembre 1946 par une revue yiddish de Buenos Aires. Il se présente comme l'ultime message d'un combattant du ghetto de Varsovie, qui sait bien qu'il va mourir après avoir tout perdu, ses biens, sa femme et ses six enfants.
Très vite, l'intense apostrophe de Yossel Rakover qui, tel un nouveau Job, appelle Dieu à la barre, va devenir un symbole, le dernier testament de la révolte contre l'injustice. (4ème de couverture)

Le texte a vite échappé à son auteur. Il a fallu toute la patience et l'obstination d'un journaliste allemand, Paul Budde, pour retrouver l'auteur et reconstituer un invraisemblable puzzle. Cette véritable aventure suit le texte Yossel Rakover... dans le livre de Zvi Kolitz.

J'ai découvert ce texte (ce livre) grâce au livre Vies de Job, de Pierre Assouline, que je suis en train de lire et dont je parlerai peut-être prochainement.