jeudi 14 mars 2013

Marquise

Pour calmer la tempête sous mon crâne à la fin de journées bien chargées en ce moment (je rappelle: aménagement d'une maison dans le bocage sarthois), je lis un peu de poésie avant de m'endormir et je pars vers des rivages qui me sont chers et familiers, même s'ils sont parfois bien tortueux.
J'ai ainsi retrouvé dans le livre La poésie baroque, aux Editions FolioPlus Classiques, les Stances que Pierre Corneille (ce bon M. Corneille l’Aîné n'a pas écrit que Le Cid...) rédigea en 1660, éperdu d'amour qu'il était pour une belle comédienne de la troupe de Molière, Mademoiselle du Parc. Voici ces strophes célèbres autant que délicieuses.

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours de planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m'a vu ce que vous êtes,
Vous serez ce que je suis.

Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.

Vous en avez qu'on adore,
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle,
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.

Pensez-y, belle marquise.
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi.

En relisant ces rimes, je pense au sonnet très connu de Ronsard

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle
Assise auprès du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, et vous esmerveillant :
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui, au bruit de Ronsard, ne s'aille réveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre, et, fantosme sans os,
Par les ombres myrteux je prendray mon repos;
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain;
Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie.


Pour en revenir à la belle Marquise de Corneille, nous connaissons tous, du moins je l'espère, la chanson de M. Georges Brassens (Marquise), qui a excellemment mis en musique les trois premiers quatrains... mais il a aussi ajouté la réponse de la marquise à Corneille, telle que Tristan Bernard l'a inventée. Cette petite pochade n'enlève rien à la beauté du texte cornélien... mais peut-être aussi que Corneille ne l'a pas volé...

Peut-être que je serai vieille
Répond Marquise cependant
J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille
Et je t'emmerde en attendant.