vendredi 23 septembre 2011

Regarder la vie

J'ai passé une grande partie de mon enfance dans l'enclos des dimanches, attaché au piquet des visites en famille. Le bruit que fait un dimanche en province est à peine audible. Il est comme l'intervalle de silence entre la chute d'une goutte d'eau dans l'évier, et la chute de la goutte d'eau suivante. Le dimanche laisse s'épanouir l'ennui que la fièvre des travaux a chassé du restant de la semaine. Un enfant qui s'ennuie n'est pas très loin du paradis: il est au bord de comprendre qu'aucune activité, même celle, lumineuse, du jeu, ne vaut qu'on y consacre toute son âme. L'ennui flaire un gibier angélique dans le buisson du temps: il y a peut-être autre chose à faire dans cette vie que de s'y éparpiller en actions, s'y pavaner en paroles ou s'y trémousser en danses. La regarder, simplement. Le regarder en face, avec la candeur d'un enfant, le nez contre la vitre du ciel bleu derrière laquelle les anges, sur une échelle de feu, montent et descendent, descendent et montent.

Christian Bobin
Prisonnier au berceau

Merci, cher Monsieur Bobin, d'avoir écrit ces mots pour tant d'autres personnes peut-être, pour moi sûrement.