jeudi 11 août 2011

Etre malade avec vous

Au cours d'une histoire sentimentale, l'alcool accompagne deux moments opposés: quand on découvre l'autre et qu'il faut se raconter, et quand on n'a plus rien à se dire. C'était maintenant la première étape. Celle où l'on ne voit pas le temps qui passe, celle où l'on refait l'histoire, et notamment la scène du baiser. Nathalie avait pensé que ce baiser avait été dicté par le hasard de la pulsion. Peut-être que non? Que le hasard n'existait pas. Que tout cela n'avait été que le cheminement inconscient d'une intuition. L'impression qu'elle se sentirait bien avec cet homme. Cela la rendait heureuse, puis grave, puis heureuse à nouveau. Un voyage incessant de l'allégresse à la tristesse. Et maintenant, le voyage les menait dehors. Vers le froid. Nathalie ne se sentait pas très bien. Elle avait attrapé froid avec les allers-retours nocturnes de la veille. Où allaient-ils? S'annonçait le genre de promenade longue, car on n'ose pas encore aller chez l'autre, et l'on ne veut surtout pas se séparer. On laisse s'éterniser le sentiment d'indécision. Et c'est encore plus fort la nuit.
"Est-ce que je peux vous embrasser? demanda-t-il.
- Je ne sais pas... j'ai un début de rhume.
- Ce n'est pas grave. Je suis prêt à être malade avec vous. Je peux vous embrasser?"
Nathalie avait tellement aimé qu'il lui pose la question. C'était une forme de délicatesse. Chaque moment avec lui sortait de l'ordinaire. Après ce qu'elle avait vécu, comment aurait-elle pu imaginer être à nouveau dans l'émerveillement? Cet homme-là avait quelque chose d'unique.
Elle dit oui, d'un mouvement de tête.

David Foenkinos
Le délicatesse

lundi 8 août 2011

Le solstice d'été

A soixante ans on a franchi depuis longtemps le solstice d'été. Il y aura encore de jolis soirs, des amis, des enfances, des choses à espérer. Mais c'est ainsi: on est sûr d'avoir franchi le solstice. C'est peut-être un bon moment pour essayer de garder le meilleur: une goutte de nostalgie s'infiltre au cœur de chaque sensation pour la rendre plus durable et plus menacée. Alors rester léger dans les instants, avec les mots. Le solstice d'été est peut-être déjà l'été indien et le doute envahit les saisons, les couleurs. Le temps n'est pas à jouer; il n'y a pas de temps à perdre.
Avec les mots rester solaire. Je sais ce qu'on peut dire à ce sujet: l'essentiel est dans l'ombre, le mystère, le cheminement nocturne. Et puis comment être solaire quand l'humanité souffre partout, quand la douleur physique et morale, la violence, la guerre recouvrent tout? Eh bien peut-être rester solaire à cause de tout cela. Constater, dénoncer sont des tâches essentielles. Mais dire qu'autre chose est possible, ici. Plus les jours passent et plus j'ai envie de guetter la lumière, à plus forte raison si elle s'amenuise. Rester du côté du soleil.

Philippe Delerm
Le trottoir au soleil

Pour mon ami Jean, qui a franchi depuis quelques années - comme moi - le solstice d'été.