mardi 20 mars 2012

Mémoire sélective

J'ai relu dans leur continuité quelques cahiers du journal que j'ai longtemps tenu, sidérée par la précision avec laquelle j'ai consigné, presque chaque jour et pendant plusieurs années, les événements les plus marquants, mais aussi les anecdotes, les soirées, les films, les dîners, les conversations, les questionnements, les plus infimes détails, comme s'il me fallait garder trace de tout cela, comme si je refusais que les choses m'échappent.
Le fait est que j'ai oublié une bonne partie de ce qui est contenu dans ces lignes, dont ma mémoire n'a gardé que le plus saillant et quelques scènes plus ou moins intactes, tandis que le reste a été, depuis longtemps, englouti par l'oubli. À la lecture de ces récits, c'est cela d'abord qui me frappe, cette élimination naturelle ordonnée par nos organismes, cette capacité que nous avons de recouvrir, effacer, synthétiser, cette aptitude au tri sélectif, qui sans doute permet de libérer de l'espace comme sur un disque dur, de faire place nette, d'avancer.

Delphine de Vigan
Rien ne s'oppose à la nuit

"Plongée bouleversante au coeur de la mémoire familiale" (4° de couverture)