jeudi 23 août 2012

Avec le temps

J'ai encore en réserve bon nombre de morceaux de musique qui chantent à mes oreilles et à mon coeur. Il est donc possible que mon blog dure encore un peu.

Je souhaite passer Avec le temps de Léo Ferré. Eh oui, cette chanson est archi-connue, elle est plus ou moins bien chantée par de nombreux artistes (vous les "plus bien", tant mieux pour vous et pour nous, vous les "moins bien", écoutez l'interprétation de l'auteur et prenez des notes, mais ne me demandez pas de donner des noms), cette chanson est certes très nostalgique mais tellement admirable, riche et profonde.

Toutes affaires cessantes, réécoutons ce bijou.

jeudi 16 août 2012

Bon rétablissement

En cette période de grâce 16-18 août, je célèbre deux anniversaires. Le mien (et cette année c'est un chiffre rond, merci la vie) et puis mon AVC, il y a quatre ans, dont je suis globalement bien rétabli.

Cela sert, maladroitement peut-être mais ça m'est égal, mon propos "Bon rétablissement", titre du livre que je viens de lire. Ce livre est magnifiquement écrit par Marie-Sabine Roger, l'auteure de La tête en friche il y a quatre ans aussi (quelle synchronicité!). Style vif, alerte, direct, plein de verve et d'humour, pour une histoire qui m'a passionné, où l'on trouve entre autres des portraits au laser du milieu hospitalier. Le plus impressionnant chez Marie-Sabine Roger, c'est le sens de phrases courtes, tranchantes, saignantes, drôles.
En voici quelques-unes.

Le Poulidor de l'hérédité.
C'est la nécessité qui fait le diplomate.
Je suis pareil que lui, un constipé du coeur.
Moi, je peux toujours critiquer les cons, dans leur équipe je jouerais avant-centre.
C'est de l'incontinence de mémoire, de l'énurésie de sentiments.
L'espoir fait surtout vivre ceux qui en tirent profit.
Tout glisse sur mon poil sans me faire un épi.
Depuis que je suis là, le monde entier me souhaite bon rétablissement, par téléphone, mail, courrier, personnes interposées. Par pigeons voyageurs, ça ne saurait tarder. Bon rétablissement. Quelle formule à la con!
Etc.

Et j'ai choisi ce chapitre, qui me parle dans le sens où il me conduit à réfléchir...

Je ne sais pas comment font les auteurs. Pour moi, qui ne suis pas coutumier de l'exercice, je trouve qu'écrire ça prend du temps et ça force à réfléchir.
Est-ce le fait d'être couché dans cette chambre triste, dans laquelle les secondes se mettent à compter double, ce qui double le poids de leur inutilité, qui me fait prendre conscience aujourd'hui seulement de l'ampleur de l'arnaque?
La perte de temps, voilà ce qui me chagrine. Pas seulement le temps que je perds ici, mais celui que j'ai perdu depuis que je suis né. Pas les heures à rien foutre dans la béatitude, le nez dans l'oreiller ou dans les seins de mes copines, non: les jours gaspillés.
Le temps perdu dans une vie, c'est de la matière noire, un rien omniprésent, un immense néant qui prend toute la place ou presque. Une fois mon histoire compactée, une fois le vide évacué, mes soixante-sept ans tiennent dans un mouchoir jetable.
C'est le principe du foisonnement: la terre extraite d'un fossé tient plus de place en tas sur le bord de la route que dans le trou où elle se trouvait, et les feuilles d'artichaut remplissent plus l'assiette, une fois l'artichaut mangé.
A vingt ans, à trente ans, je croyais pouvoir compter sur un magot énorme, inépuisable, un trésor de roi nègre, de tyran corrompu.
Je me retrouve aujourd'hui avec une tirelire plus très loin d'être vide. Un vieux petit cochon en céramique moche où tintent trois pièces en mauvais chocolat.
Si on me rendait d'un seul coup le temps dilapidé à attendre qu'il passe, si on me remboursait les minutes stériles, j'aurais combien en banque? Des mois? Des années?
Des décennies, peut-être, au taux des intérêts.
La vie est un escroc sans scrupules: si on n'y prend pas garde, elle vous plume à vif et vous laisse repartir avec les poches vides, comme un flambeur ruiné qui sort du casino.

Enlevons un mot, un seul, de ce texte et l'ensemble serait totalement déséquilibré.

Editions La Brune, au Rouergue - 205 pages - mars 2012

jeudi 9 août 2012

Propos d'un confiseur

Du temps, qui commence à prendre la poudre d'escampette, où je pratiquais le grandiose et inénarrable métier de Ressources Humaines, il m'arrivait fréquemment de lire et relire quelques pages d'un livre délicieux: Propos de O.L. Barenton confiseur (1), de Auguste Detoeuf (une "tronche", ce M. Detoeuf, X, Ponts, premier président d'Alstom, entre autres).
Ce livre, que je viens d'exhumer de ma bibliothèque, est truffé d'aphorismes et autres apophtegmes, axiomes, maximes, adages, devises, préceptes, sentences, pour ne pas dire dogmes et dictons. Je m'en suis souvent servi pour détendre l'atmosphère d'un entretien "serré" ou pour démarrer en douceur une session de formation. En l'an de grâce deux mil douze, ce livre est certes recouvert d'un peu de poussière, mais un bon coup de plumeau lui redonne du lustre, pour peu qu'on accepte d'y prêter une aimable attention.
En voici quelques extraits.

Consulter: façon respectueuse de demander à quelqu'un d'être de votre avis.  
Réfléchir: attendre quelques jours avant de ne pas changer d'avis.
Ce qui rend fausses beaucoup de théories économiques, c'est qu'elles sont fondées sur l'hypothèse que l'homme est raisonnable.
Un homme est vieux à partir de l'heure où il cesse d'avoir de l'audace. 
On commence sa vie avec des convictions. On la fait avec des principes.
Un homme arrivé ne bouge plus.
Si vous ne pouvez persuader, appliquez-vous à séduire. 
Méfiez-vous de l'homme qui parle pour ne rien dire. Ou il est stupide et vous perdrez votre temps, ou il est très fort et vous perdrez votre argent.
Personne ne croit aux experts, mais tout le monde les croit.
Pensez vite et parlez lentement. Le poids des mots est directement proportionnel à leur durée.
Lorsque plusieurs questions urgentes se présentent à la fois, choisissez la plus embêtante: c'est certainement la plus pressée.
La concurrence est un alcaloïde; à dose modérée, c'est un excitant, à dose massive, un poison.
Pour triompher, il faut être une heure avant sur le concurrent et parler une heure après lui.
Si vous avez des doutes sur la façon dont vous devez juger un homme, invitez-le chez vous et fiez-vous à ce que vous en dira votre femme. Mais si votre femme connaît sa femme, ne vous y fiez plus.
On fait tout avec de l'argent, excepté des hommes.

Le livre finit étrangement par ce rondeau (les X et Ponts ont donc parfois un supplément d'âme)...

Du temps passé par cent saiges divers
A trifouiller le naturel grimoire,
Sçavoir (dit-on) naquit, grave et disers,
Puys Industrie à la poitrine noire,
Vilains cadets des filles de Mémoire
Mais qui s'en vont de par tout l'univers
Porter richesse et travail et victoire.

Du temps passé, tous deux, à rudes bras,
Jectent en bas et maisons et chaumières,
Coite douceur, sourires et soulas,
Cassent la nuict à grands coups de lumières
Et font bien estre, et bonheur ne font pas.

Vulcain partout mène bruyt et tapaige
Nymphes ont fui, qu'entraînent les bergers;
Même Vénus (qui n'est pas la plus saige),
Et lairrant place à des dieux étrangers,
Vecy qu'Amour a plié son bagaige
Et qu'il s'envole avec la douce imaige
Du temps passé...

(1) O.L. = Oscar-Louis