jeudi 16 août 2012

Bon rétablissement

En cette période de grâce 16-18 août, je célèbre deux anniversaires. Le mien (et cette année c'est un chiffre rond, merci la vie) et puis mon AVC, il y a quatre ans, dont je suis globalement bien rétabli.

Cela sert, maladroitement peut-être mais ça m'est égal, mon propos "Bon rétablissement", titre du livre que je viens de lire. Ce livre est magnifiquement écrit par Marie-Sabine Roger, l'auteure de La tête en friche il y a quatre ans aussi (quelle synchronicité!). Style vif, alerte, direct, plein de verve et d'humour, pour une histoire qui m'a passionné, où l'on trouve entre autres des portraits au laser du milieu hospitalier. Le plus impressionnant chez Marie-Sabine Roger, c'est le sens de phrases courtes, tranchantes, saignantes, drôles.
En voici quelques-unes.

Le Poulidor de l'hérédité.
C'est la nécessité qui fait le diplomate.
Je suis pareil que lui, un constipé du coeur.
Moi, je peux toujours critiquer les cons, dans leur équipe je jouerais avant-centre.
C'est de l'incontinence de mémoire, de l'énurésie de sentiments.
L'espoir fait surtout vivre ceux qui en tirent profit.
Tout glisse sur mon poil sans me faire un épi.
Depuis que je suis là, le monde entier me souhaite bon rétablissement, par téléphone, mail, courrier, personnes interposées. Par pigeons voyageurs, ça ne saurait tarder. Bon rétablissement. Quelle formule à la con!
Etc.

Et j'ai choisi ce chapitre, qui me parle dans le sens où il me conduit à réfléchir...

Je ne sais pas comment font les auteurs. Pour moi, qui ne suis pas coutumier de l'exercice, je trouve qu'écrire ça prend du temps et ça force à réfléchir.
Est-ce le fait d'être couché dans cette chambre triste, dans laquelle les secondes se mettent à compter double, ce qui double le poids de leur inutilité, qui me fait prendre conscience aujourd'hui seulement de l'ampleur de l'arnaque?
La perte de temps, voilà ce qui me chagrine. Pas seulement le temps que je perds ici, mais celui que j'ai perdu depuis que je suis né. Pas les heures à rien foutre dans la béatitude, le nez dans l'oreiller ou dans les seins de mes copines, non: les jours gaspillés.
Le temps perdu dans une vie, c'est de la matière noire, un rien omniprésent, un immense néant qui prend toute la place ou presque. Une fois mon histoire compactée, une fois le vide évacué, mes soixante-sept ans tiennent dans un mouchoir jetable.
C'est le principe du foisonnement: la terre extraite d'un fossé tient plus de place en tas sur le bord de la route que dans le trou où elle se trouvait, et les feuilles d'artichaut remplissent plus l'assiette, une fois l'artichaut mangé.
A vingt ans, à trente ans, je croyais pouvoir compter sur un magot énorme, inépuisable, un trésor de roi nègre, de tyran corrompu.
Je me retrouve aujourd'hui avec une tirelire plus très loin d'être vide. Un vieux petit cochon en céramique moche où tintent trois pièces en mauvais chocolat.
Si on me rendait d'un seul coup le temps dilapidé à attendre qu'il passe, si on me remboursait les minutes stériles, j'aurais combien en banque? Des mois? Des années?
Des décennies, peut-être, au taux des intérêts.
La vie est un escroc sans scrupules: si on n'y prend pas garde, elle vous plume à vif et vous laisse repartir avec les poches vides, comme un flambeur ruiné qui sort du casino.

Enlevons un mot, un seul, de ce texte et l'ensemble serait totalement déséquilibré.

Editions La Brune, au Rouergue - 205 pages - mars 2012

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Je viens de tomber par hasard sur votre commentaire - très chaleureux, merci! - et j'ai été particulièrement touchée par l'évocation de votre AVC. Vous comprendrez pourquoi si vous lisez une interview récente (un peu longue, malheureusement):
    http://www.paperblog.fr/5693965/bon-retablissement/
    Joyeux anniversaire, donc,
    Cordialement
    Marie-Sabine Roger

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