lundi 31 mai 2010

Les mots

En petits paquets
en menus troupeaux
les mots

en sombres bouquets
en gluants grumeaux
les mots

lassé de leur ton faux
j'attends qu'enfin s'isole
une Parole

Pierre Etienne
Frère de Taizé
Poésie Nomade

vendredi 28 mai 2010

La ferveur des cantiques

Il est plus médiatique d'afficher le malheur, le désamour, l'échec, que de s'avouer heureux. On a vite fait de stigmatiser les soi-disant rêveurs qui croient encore à l'amour longue durée. Les critiques transforment leurs propres frustrations en jugements ironiques, destructeurs: comment accepteraient-ils que d'autres cinglent vers un point qu'eux-mêmes ont renoncé à rejoindre?
Non pas image idyllique et mièvre, mais dynamisme de l'élan qui unit Eros et Thanatos. Non le bonheur béat, bêta, mais la recherche d'une alliance en mouvement perpétuel, comme les amoureux de la Bible.
A force de se chercher
de se trouver
de se perdre
de rouvrir le sentir des rencontres
de déplorer les malentendus les impasses
de célébrer les retrouvailles
ils déboucheront dans la clarté sans fin
la ferveur des cantiques (1).

Colette Nys-Mazure
Secrète présence

(1) extrait de Chant de feu, recueil de poésie de l'auteure.

Je précise que le titre exact de ce passage est Cantique des cantiques.

mercredi 26 mai 2010

Derniers fragments

Je ressors d’un livre de Christiane Singer « Derniers fragments d’un long voyage » profondément marqué, ému, troublé, émerveillé, tremblant devant une exceptionnelle découverte. A l’approche imminente de sa mort, cette femme a su sublimer ses derniers instants sans tomber dans une quelconque litanie de rétrospective ni dans le pathos, mais en continuant à se projeter vers ce qu’elle a sublimement appelé sa « nouvelle naissance ». Nous vivons avec elle des moments très forts de partage avec les siens ou ses amis, nous vibrons avec elle pour l’émergence d’un réel bonheur et d’une totale sérénité, nous partageons la simplicité avec laquelle elle s’accorde le droit de parler de ses souffrances.
Bien sûr, tout cela résulte chez elle d’une longue pratique d’un travail intérieur. Aussi, je prends en plein cœur une réelle leçon de vie. Je suis encore dans ce livre et j’y serai longtemps encore… Moi qui ai souhaité depuis toujours mourir sans m’en apercevoir, j’en viens à souhaiter le contraire pour me laisser le temps de me préparer.
Je ne suis qu’un débutant sur le chemin, mais je suis sur le chemin.
.
Voici trois extraits de la fin du livre, écrits dans le dernier mois de Christiane Singer.
.
Je remarquais voilà quelques années qu’en vieillissant, il fallait chaque matin au réveil aller se chercher plus loin. Maintenant il peut m’arriver de partir comme à une pêche miraculeuse sans garantie de trouver dans le fatras du réel celle que j’étais hier encore. L’essentiel est de ne pas m’être attachée à « celle que j’étais hier encore » ni de vouloir coûte que coûte la reconstituer comme le font certains savants pour les tyrannosaures à partir d’un hachis de bribes d’os. Il s’agit tout au contraire de s’éprendre du jour neuf, de laisser l’intelligence de la vie se déployer. Chaque jour se doit d’être une création totalement nouvelle.


Quelle émotion que de voir instantanément – lorsque n’y entre ni souhait ni intention – se modifier la réalité elle-même à l’instant même où notre conscience de la réalité se modifie.
Je grandis.
Je grandis.
Je sens intensément cette croissance en moi. J’apprends à chaque instant comme jamais.

Et ce tout dernier extrait… Force de conviction...

Derniers fragments d’un long voyage. Voilà. Le carnet de bord est clos. Le voyage – ce voyage-là du moins – est pour moi terminé. A partir de demain, mieux : à partir de cet instant, tout est neuf. Je poursuis mon chemin.
Demain, comme tous les jours d’ici ou d’ailleurs, sur ce versant ou sur l’autre, est désormais mon jour de naissance.
Les six mois de vie que vous m’avez naïvement accordés le 1er septembre 2006, cher jeune docteur de Krems, je les dépose à vos pieds avec leur fruit le plus juteux : ces pages. Ma gratitude est totale.
J’ai reçu par ce livre le lumineux devoir de partager ce que je vivais dans ce temps imparti pour que la coque personnelle se brise et fasse place à une existence dilatée. Ce faisant, j’ai sauvé ma vie en l’ouvrant à tous, puisque toute vie, aussi longtemps qu’on la considère comme quelque chose de séparé et de « solide », se laisse égarer pour finir comme une paire de gants ou un parapluie dans la confusion des choses du dehors.
Il n’y a que perdre sa vie qui ait toujours le même visage : ne pas oser parier sur « l’homme intérieur », sur l’immensité qui nous habite. Ne pas oser l’Elan fou, l’Eros fondateur, ne pas plonger vers l’intérieur de soi comme du haut d’une falaise. J’ai plongé. J’ose le dire, oui, cul par-dessus tête, j’ai plongé !
« Tu connaîtras la justesse de ton chemin à ce qu’il t’aura rendu heureux. » Aristote.
Du fond du cœur, merci.

samedi 15 mai 2010

Laisser être

Toute la difficulté et l'intérêt de la vie est de savoir choisir. Nous avons toutes sortes de qualités mais la science du choix est souvent ce qui nous manque le plus. Pourtant ce sont nos choix qui donnent le sens et l'orientation de notre vie. Yeshoua demande de choisir et de choisir le meilleur, et qu'est-ce que le meilleur si ce n'est l'amour? Choisir d'aimer quelles que soient les circonstances. Tout ce qu'on fait sans amour est du temps perdu, tout ce qu'on fait avec amour est de l'éternité retrouvée. Myriam avait choisi, elle ne se retournerait jamais plus en arrière, elle ne se demanderait jamais plus "à quoi bon aimer?". Elle ne connaissait de bon que d'aimer et cela la conduisait parfois dans d'étranges et profonds silences. Aimer ce n'est pas se projeter sur l'autre ou sur ce qui est, c'est "laisser être".
Jean-Yves Leloup
Une femme innombrable
Le roman de Marie Madeleine
 

jeudi 13 mai 2010

L'espace flamboyant

Les lettres serrées des psaumes et du Cantique des Cantiques avaient éveillé en elle la nostalgie d'un visage. Le beau visage du Messie, sans doute, mais plus simplement le visage d'un homme qui la féconderait par son esprit et lui donnerait un enfant qui ne serait pas seulement le fruit d'un mariage des corps, mais l'espace flamboyant qui naît lorsque se rencontrent deux silences dans l'alliance des souffles et des songes.
Myriam aurait aimé être la mère des anges, mettre au monde des états de conscience singuliers et vifs, qui débordent la saisie des hommes et les ouvrent à un ciel plus vaste.
Jean-Yves Leloup
Une femme innombrable
Le roman de Marie Madeleine