lundi 17 décembre 2012

Père et fils

Un combat joué d'avance. Sans espoir. Il revoyait la lumière s'éteindre dans les yeux troubles de son père, comme le présage d'une défaite. Toutefois, celui qui se bat n'a peut-être pas pleinement conscience du caractère inéluctable de la défaite: il peut résister et reprendre son souffle pour lutter encore. Mais celui qui assiste impuissant à ce combat tragique, celui qui a dans ses artères le même sang que la victime, souffre d'une horreur contenue et toutes ses minutes sont empoisonnées.

Giani Stuparich
L'île
Traduit de l'italien par Gilbert Bosetti

Court et très beau roman. Un père gravement malade demande à son fils exilé de descendre de sa montagne pour l'accompagner, pour ce qui sera son dernier voyage, dans l'île de ses origines. Le père et le fils, toujours appelés ainsi, s'apprennent et se redécouvrent, s'interrogent par petites touches, avec beaucoup de pudeur, sur la naissance et la mort. Qui est le plus blessé des deux?

mercredi 28 novembre 2012

L'Écrivain de la famille

Les mots étaient là pourtant. Tout était là. Les adjectifs, les adverbes, les propositions subordonnées, les pronoms relatifs, la conjugaison du verbe être au plus-que-parfait et pourtant j'étais incapable d'écrire. Ils m'emmerdaient, ils me sortaient par les yeux les mots. Quoi? J'avais écrit un poème minable et j'avais été catalogué écrivain de la famille. Et puis quoi encore? J'aurais disséqué une grenouille, crevé un chat que j'aurais été le médecin de la famille, l'assassin de la famille. Séduit une cousine acnéique, le don Juan de la famille. Et puis, quoi encore? ... Les rêves des autres nous damnent. Aux chiottes! ...
Elle (sa mère) ouvrit ses bras et me serra contre sa poitrine, moi le fils grand comme un homme maintenant, plus grand que mon propre père; elle me serra comme elle ne l'avait plus fait depuis des siècles. J'étouffais, quel bonheur. Elle murmura à mon oreille... je sais que tu écriras un jour Edouard, que tu raconteras tout ça. Nos fissures. Nos peurs. Il faudra bien que tu trouves les mots pour demander pardon...
Ecrire guérit.

Grégoire Delacourt
l’Écrivain de la famille

J'ai lu ce livre après avoir découvert Grégoire Delacourt pour son excellentissime opus La liste de mes envies, dont je n'ai pas parlé dans ce blog.
Je ne connais pas la vie de l'auteur mais il y a de fortes chances qu'il ait mis beaucoup de lui dans ce livre tonique, brillant, drôle parfois, sincère toujours, écrit avec une plume sergent-major qui gratte le papier et même se casse en l'éclaboussant d'une étoile. Un livre qui confirme bien qu'il n'est pas vraiment heureux que les autres décident à notre place.

lundi 12 novembre 2012

Le petit bal perdu

Au nombre de ses savoir-faire, André Raimbourg dit Bourvil, pouvait aussi se montrer tendre et intimiste. J'aime bien son interprétation presque prude de la chanson de Robert Nyel et Gaby Verlor C'était bien (le petit bal perdu). Rien d'autre à dire, regardons et écoutons.

 

dimanche 23 septembre 2012

Un peuple de promeneurs

Ma chère Maguy m'a fait le très grand plaisir de m'offrir un livre étonnant: Un peuple de promeneurs, histoires tziganes. Je dis étonnant, je devrais dire quasiment irréel, à tel point que j'ai eu un peu de mal à accrocher au début... C'est un livre parlé plus qu'écrit, sautillant d'une réflexion à une observation, voire une remarque, avec de l'humour, parfois une ombre de tristesse, de la pertinence, un soupçon d'abstraction. Son auteur? Alexandre Romanès, né Bouglione, dompteur de fauves, créateur du cirque qui porte son nom, à peine sorti de son passé d'inculte et, évidemment, carrément poète.

Lydie Dattas, qui préface ce livre, écrit: Fils d'un dompteur gitan, il entre à dix-neuf ans pour la première fois dans la cage. "J'entendis alors, dira-t-il, un bruit énorme qui emplissait la salle. Je ne compris pas tout de suite d'où il venait. Puis je m'aperçus que c'était le bruit de mon cœur." Le bruit de son cœur, c'est lui que nous allons entendre dans ces pages.

Voici quelques extraits, au hasard des pages.

Mon cousin m'explique pendant vingt minutes
qu'il va tout changer dans son cirque.
Les camions, les caravanes,
les gradins, le chapiteau.
Il commence à m'agacer. Je lui dis :
"C'est très bien de changer les assiettes,
mais est-ce que tu vas aussi changer la soupe ?"

Avec ma fille Alexandra, cinq ans,
j'entre dans un restaurant self-service.
On passe devant une dizaine d'hommes et de femmes.
Soudain, elle lâche ma main,
et court en direction d'un clochard
qui est dans le fond de la salle,
elle se jette sur lui et l'embrasse.
Quand c'est beau, il n'y a rien à dire.

Du campement tzigane de Nanterre,
ce qu'on voyait le mieux,
c'était la Grande Arche de la Défense.
C'était la misère,
les enfants marchaient pieds nus l'hiver
au milieu des rats, pas d'eau ni d'électricité,
et pas toujours quelque chose à manger,
et ce monument gigantesque éclairé
la nuit par des projecteurs est baptisé :
"L'Arche de la fraternité".

La vie,
c'est un peu comme des portes qu'on ferme
et qu'on n'ouvre plus jamais.

Un vieux Gitan :
"Pour la plupart des hommes,
tant qu'il n'y a pas la mort bien visible
au bout du chemin,
ils restent dans l'inessentiel."

On devrait avoir deux vies :
une pour apprendre,
l'autre pour vivre.

mercredi 19 septembre 2012

L'ouverture du Barbier

Ce bon (bon vivant !) M. Gioachino Rossini n'a peut-être pas prévu en concoctant son Barbier de Séville que l'ouverture de son opéra allait engendrer des myriades d'interprétations plus ou moins fantaisistes, plus ou moins réussies.
J'en ai choisi deux (réussies, à mon avis) pour mon blog.
La première, celle du groupe The King's Singers, que je ne connais guère, mais YouTube m'invite à les fréquenter un peu plus. Belles voix, diantre!



La deuxième, celle de l'ancien groupe Les Quatre Barbus, qui n'a pas toujours chanté des gauloiseries. Les paroles sont de Francis Blanche, qui a écrit d'autres textes drolatiques sur des musiques célèbres (La Truite de Schubert, la Pince à Linge sur la 5° de Beethoven, notamment).



Moments de détente dans ce blog. Tant mieux.

jeudi 23 août 2012

Avec le temps

J'ai encore en réserve bon nombre de morceaux de musique qui chantent à mes oreilles et à mon coeur. Il est donc possible que mon blog dure encore un peu.

Je souhaite passer Avec le temps de Léo Ferré. Eh oui, cette chanson est archi-connue, elle est plus ou moins bien chantée par de nombreux artistes (vous les "plus bien", tant mieux pour vous et pour nous, vous les "moins bien", écoutez l'interprétation de l'auteur et prenez des notes, mais ne me demandez pas de donner des noms), cette chanson est certes très nostalgique mais tellement admirable, riche et profonde.

Toutes affaires cessantes, réécoutons ce bijou.

jeudi 16 août 2012

Bon rétablissement

En cette période de grâce 16-18 août, je célèbre deux anniversaires. Le mien (et cette année c'est un chiffre rond, merci la vie) et puis mon AVC, il y a quatre ans, dont je suis globalement bien rétabli.

Cela sert, maladroitement peut-être mais ça m'est égal, mon propos "Bon rétablissement", titre du livre que je viens de lire. Ce livre est magnifiquement écrit par Marie-Sabine Roger, l'auteure de La tête en friche il y a quatre ans aussi (quelle synchronicité!). Style vif, alerte, direct, plein de verve et d'humour, pour une histoire qui m'a passionné, où l'on trouve entre autres des portraits au laser du milieu hospitalier. Le plus impressionnant chez Marie-Sabine Roger, c'est le sens de phrases courtes, tranchantes, saignantes, drôles.
En voici quelques-unes.

Le Poulidor de l'hérédité.
C'est la nécessité qui fait le diplomate.
Je suis pareil que lui, un constipé du coeur.
Moi, je peux toujours critiquer les cons, dans leur équipe je jouerais avant-centre.
C'est de l'incontinence de mémoire, de l'énurésie de sentiments.
L'espoir fait surtout vivre ceux qui en tirent profit.
Tout glisse sur mon poil sans me faire un épi.
Depuis que je suis là, le monde entier me souhaite bon rétablissement, par téléphone, mail, courrier, personnes interposées. Par pigeons voyageurs, ça ne saurait tarder. Bon rétablissement. Quelle formule à la con!
Etc.

Et j'ai choisi ce chapitre, qui me parle dans le sens où il me conduit à réfléchir...

Je ne sais pas comment font les auteurs. Pour moi, qui ne suis pas coutumier de l'exercice, je trouve qu'écrire ça prend du temps et ça force à réfléchir.
Est-ce le fait d'être couché dans cette chambre triste, dans laquelle les secondes se mettent à compter double, ce qui double le poids de leur inutilité, qui me fait prendre conscience aujourd'hui seulement de l'ampleur de l'arnaque?
La perte de temps, voilà ce qui me chagrine. Pas seulement le temps que je perds ici, mais celui que j'ai perdu depuis que je suis né. Pas les heures à rien foutre dans la béatitude, le nez dans l'oreiller ou dans les seins de mes copines, non: les jours gaspillés.
Le temps perdu dans une vie, c'est de la matière noire, un rien omniprésent, un immense néant qui prend toute la place ou presque. Une fois mon histoire compactée, une fois le vide évacué, mes soixante-sept ans tiennent dans un mouchoir jetable.
C'est le principe du foisonnement: la terre extraite d'un fossé tient plus de place en tas sur le bord de la route que dans le trou où elle se trouvait, et les feuilles d'artichaut remplissent plus l'assiette, une fois l'artichaut mangé.
A vingt ans, à trente ans, je croyais pouvoir compter sur un magot énorme, inépuisable, un trésor de roi nègre, de tyran corrompu.
Je me retrouve aujourd'hui avec une tirelire plus très loin d'être vide. Un vieux petit cochon en céramique moche où tintent trois pièces en mauvais chocolat.
Si on me rendait d'un seul coup le temps dilapidé à attendre qu'il passe, si on me remboursait les minutes stériles, j'aurais combien en banque? Des mois? Des années?
Des décennies, peut-être, au taux des intérêts.
La vie est un escroc sans scrupules: si on n'y prend pas garde, elle vous plume à vif et vous laisse repartir avec les poches vides, comme un flambeur ruiné qui sort du casino.

Enlevons un mot, un seul, de ce texte et l'ensemble serait totalement déséquilibré.

Editions La Brune, au Rouergue - 205 pages - mars 2012

jeudi 9 août 2012

Propos d'un confiseur

Du temps, qui commence à prendre la poudre d'escampette, où je pratiquais le grandiose et inénarrable métier de Ressources Humaines, il m'arrivait fréquemment de lire et relire quelques pages d'un livre délicieux: Propos de O.L. Barenton confiseur (1), de Auguste Detoeuf (une "tronche", ce M. Detoeuf, X, Ponts, premier président d'Alstom, entre autres).
Ce livre, que je viens d'exhumer de ma bibliothèque, est truffé d'aphorismes et autres apophtegmes, axiomes, maximes, adages, devises, préceptes, sentences, pour ne pas dire dogmes et dictons. Je m'en suis souvent servi pour détendre l'atmosphère d'un entretien "serré" ou pour démarrer en douceur une session de formation. En l'an de grâce deux mil douze, ce livre est certes recouvert d'un peu de poussière, mais un bon coup de plumeau lui redonne du lustre, pour peu qu'on accepte d'y prêter une aimable attention.
En voici quelques extraits.

Consulter: façon respectueuse de demander à quelqu'un d'être de votre avis.  
Réfléchir: attendre quelques jours avant de ne pas changer d'avis.
Ce qui rend fausses beaucoup de théories économiques, c'est qu'elles sont fondées sur l'hypothèse que l'homme est raisonnable.
Un homme est vieux à partir de l'heure où il cesse d'avoir de l'audace. 
On commence sa vie avec des convictions. On la fait avec des principes.
Un homme arrivé ne bouge plus.
Si vous ne pouvez persuader, appliquez-vous à séduire. 
Méfiez-vous de l'homme qui parle pour ne rien dire. Ou il est stupide et vous perdrez votre temps, ou il est très fort et vous perdrez votre argent.
Personne ne croit aux experts, mais tout le monde les croit.
Pensez vite et parlez lentement. Le poids des mots est directement proportionnel à leur durée.
Lorsque plusieurs questions urgentes se présentent à la fois, choisissez la plus embêtante: c'est certainement la plus pressée.
La concurrence est un alcaloïde; à dose modérée, c'est un excitant, à dose massive, un poison.
Pour triompher, il faut être une heure avant sur le concurrent et parler une heure après lui.
Si vous avez des doutes sur la façon dont vous devez juger un homme, invitez-le chez vous et fiez-vous à ce que vous en dira votre femme. Mais si votre femme connaît sa femme, ne vous y fiez plus.
On fait tout avec de l'argent, excepté des hommes.

Le livre finit étrangement par ce rondeau (les X et Ponts ont donc parfois un supplément d'âme)...

Du temps passé par cent saiges divers
A trifouiller le naturel grimoire,
Sçavoir (dit-on) naquit, grave et disers,
Puys Industrie à la poitrine noire,
Vilains cadets des filles de Mémoire
Mais qui s'en vont de par tout l'univers
Porter richesse et travail et victoire.

Du temps passé, tous deux, à rudes bras,
Jectent en bas et maisons et chaumières,
Coite douceur, sourires et soulas,
Cassent la nuict à grands coups de lumières
Et font bien estre, et bonheur ne font pas.

Vulcain partout mène bruyt et tapaige
Nymphes ont fui, qu'entraînent les bergers;
Même Vénus (qui n'est pas la plus saige),
Et lairrant place à des dieux étrangers,
Vecy qu'Amour a plié son bagaige
Et qu'il s'envole avec la douce imaige
Du temps passé...

(1) O.L. = Oscar-Louis

vendredi 13 juillet 2012

Destinées et rêves

Je flânai longtemps dans Yunhai. Préoccupé par l'état de madame Ming, décontenancé par ce que je venais d'apprendre, je n'étais plus capable de penser clairement; quand une idée ou un sentiment se présentait, saillait son contraire; d'un côté j'appréciais le généreux artifice de Ting Ting afin de ramener sa mère à la vie, de l'autre je condamnais cette blague qui avait gangrené un psychisme affaibli; parfois j'estimais que nos destinées ne devaient pas se restreindre à la réalité mais s'enrichir de rêves, de fantasmes, lesquels, s'ils ne sont pas la teneur des choses, témoignent de la vitalité de l'esprit.

Eric-Emmanuel Schmitt
Les dix enfants que madame Ming n'a jamais eus

vendredi 29 juin 2012

Les guerriers les plus résistants

Il est possible que, par l'attention des choses menues, très simples, très pauvres, je trouve peut-être ma place dans ce monde. Il y a quelque chose de la suave tyrannie des techniques qui commence à être défaite dans un instant de contemplation pure qui ne demande rien, qui ne cherche rien, même pas une page d'écriture. La plupart du temps, je regarde, je ne note pas, je n'écris pas. La contemplation est ce qui menace le plus, et de manière très drôle, la technique hyper puissante. Et pour une raison très simple, c'est que les techniques nous facilitent la vie apparemment. Mais c'est un dogme d'aujourd'hui qu'on ait la vie facilitée. Qui a dit que la vie devait être facile et pratique? Est-ce qu'aimer c'est pratique? Est-ce que souffrir, est-ce qu'espérer c'est pratique? La technique nous éloigne de ces choses-là, et fait grandir une lèpre d'irréel qui envahit silencieusement le monde.

La contemplation, ce qu'on appelle la poésie, c'est le contraire précisément. C'est le contraire même de ce qu'on entend trop souvent par poésie. Ce n'est pas une décoration, ce n'est pas une joliesse, ce n'est pas quelque chose d'esthétique, c'est comme mettre sa main sur la pointe la plus fine du réel. Et en le nommant, de la faire advenir. Le réel est du côté de la poésie et la poésie est du côté du réel. Les contemplatifs, quels qu'ils soient, peuvent être des poètes connus comme tels, mais ça peut être aussi un plâtrier en train de siffler comme un merle dans une pièce vide, ou une jeune femme qui pense à autre chose tout en repassant du linge. Les instants de contemplation sont des instants de grand répit pour le monde, car c'est dans ces instants-là que le réel n'a plus peur d'arriver à nous. Il n'y a plus rien de bruyant dans nos coeurs ou dans nos têtes. Les choses, les animaux, les fantômes qui sont très réels, tout ce qui est de l'ordre du vivant se rapproche de nous et vient trouver son nom, vient mendier son nom. Habiter poétiquement, ce serait peut-être d'abord regarder en paix, sans intention de prendre, sans chercher même une consolation, sans rien chercher. Regarder presque avec cette attention flottante dont parlent les psychanalystes. Avoir une sorte de présence diaphane au monde. Et je pense qu'à ce moment quelque chose du monde s'ouvre comme une amande. On comprend ce dont il s'agit lorsqu'il s'agit de vivre. On le comprend sans mot, et sans même peut-être pouvoir le dire. Le plâtrier, la femme à son ménage ou le poète à son poème, chacun construisant quelque chose de très réel, de très éphémère, ne sont pas les maîtres de ce qu'ils voient. Dans cette lutte incessante que constitue le monde dit moderne, les contemplatifs sont les guerriers les plus résistants. Ce sont eux peut-être qui pourront nous tirer d'affaire. Il faut juste que chacun se remette à faire ce qu'il a à faire, de la façon la plus simple. Les poèmes du boulanger, ce sont ses pains.

Christian Bobin
Propos recueillis par Françoise Lemarchand
Parution dans Canopée n° 10 / 2012, revue annuelle de Natures & Découvertes / Actes Sud

Je fais miens ces mots de Christian Bobin, à défaut, évidemment, de les avoir écrits moi-même.

lundi 11 juin 2012

Les méditants suprêmes

Pourvu du corps puissant de la vue parfaitement pure, libre d'élaborations,
Avec pour membres la méditation parfaitement pure, libre de distraction,
Et l'action parfaitement pure pour crinière de turquoise,
Tel est le méditant pareil au lion des neiges.

Portant l'armure de l'insondable accomplissement du bien des êtres,
Montant le cheval de la double accumulation qu'éperonne le courage,
Et portant l'épée de sagesse qui pourfend la horde des poisons mentaux,
Tel est le méditant semblable à un héros sur un champ de bataille.

Riche du précieux trésor des trois disciplines sans tâche,
Prodiguant aux êtres des biens matériels et la protection contre la peur,
Et les menant sur la voie de la libération grâce au don du Dharma (1)
Tel est le méditant qui rassemble les êtres pour faire leur bien.

Voilà décrits les trois sortes de méditants suprêmes.

Sakya Pandita (1182-1251)
Traduit et présenté par Matthieu Ricard
dans son livre "Chemins spirituels, petite anthologie des plus beaux textes tibétains"

(1) Dharma - Ce mot n'a pas moins de dix sens principaux, dont "les phénomènes", "les objets de perception" et "l'enseignement du Bouddha". Dans ce dernier sens, il est souvent qualifié de sublime ou suprême, car, parmi tous les dharmas, il est celui qui libère de la souffrance. (Matthieu Ricard).

mardi 29 mai 2012

Casta Diva

Mais comment n'ai-je pas déjà, depuis trois ans1/2 que je tiens ce blog, passé "Casta Diva", célèbre aria de l'opéra Norma de Bellini, que l'on décrit comme invocation mystique à la lune. Voilà, c'est fait aujourd'hui. Il fallait de plus que ce morceau de reine soit interprété par une reine, LA diva en personne, Maria Callas, LA Callas.
La vidéo n'est pas de bonne qualité. C'est une raison supplémentaire pour fermer les yeux en écoutant, toutes affaires cessantes.

dimanche 8 avril 2012

Un détail minuscule

C'est ce que j'aime dans la lecture. Un détail minuscule attire votre attention et vous mène à un autre livre, dans lequel vous trouverez un petit passage qui vous pousse vers un troisième livre. Cela fonctionne de manière géométrique, à l'infini, et c'est un plaisir pur.

Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates
Mary Ann Shaffer & Annie Barrows
Traduction Aline Azoulay

Je ne veux pas en dire beaucoup de ce livre étonnant et original. Le nom exact du Cercle est "Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey", né à cause d'un cochon rôti caché aux soldats allemands qui occupaient Guernesey lors de la dernière guerre.

vendredi 6 avril 2012

Silence

Le silence est aux bruits ce que l'ombre est à la lumière, ou le sommeil à la veille: une autre face, indispensable. L'envahissement permanent du bruit est toxique, il participe à l'accumulation d'excitations que nous impose la vie dite "moderne". Même s'il est intéressant..., même s'il est harmonieux..., sa présence constante nous fatigue, nous affaiblit, empêche notre esprit de respirer, puis de fonctionner, comme une sorte de bavardage constant qui prendrait la place de notre pensée.
Alors, il faut se rappeler la puissance du silence, caisse de résonance des bruits de la vie. Pas forcément le silence complet, mais sa présence entre les sons, entre les moments où le bruit est inévitable... ou souhaitable... Les temps de silence sont comme des respirations, des parenthèses: des mises en valeur des sons que nous aimons et des soulagements de ceux qui nous indisposent.
Puissance du silence et de son cousin le calme. Qui n'est pas l'absence de bruits mais de paroles inutiles, d'interventions artificielles. Le silence et le calme nous permettent ainsi d'entendre et d'écouter toutes les musiques de la vie.

Christophe André
Méditer, jour après jour


Je me souviendrai de ce texte (entre autres) quand, dans la deuxième quinzaine de ce mois, nous serons en marche dans le désert du Sinaï. Une expérience dont j'attends beaucoup, qui permettra de revenir sur celle que nous avons connue il y a deux ans dans le désert mauritanien, qui permettra surtout de la compléter. Silence, un de mes maîtres.


mardi 20 mars 2012

Mémoire sélective

J'ai relu dans leur continuité quelques cahiers du journal que j'ai longtemps tenu, sidérée par la précision avec laquelle j'ai consigné, presque chaque jour et pendant plusieurs années, les événements les plus marquants, mais aussi les anecdotes, les soirées, les films, les dîners, les conversations, les questionnements, les plus infimes détails, comme s'il me fallait garder trace de tout cela, comme si je refusais que les choses m'échappent.
Le fait est que j'ai oublié une bonne partie de ce qui est contenu dans ces lignes, dont ma mémoire n'a gardé que le plus saillant et quelques scènes plus ou moins intactes, tandis que le reste a été, depuis longtemps, englouti par l'oubli. À la lecture de ces récits, c'est cela d'abord qui me frappe, cette élimination naturelle ordonnée par nos organismes, cette capacité que nous avons de recouvrir, effacer, synthétiser, cette aptitude au tri sélectif, qui sans doute permet de libérer de l'espace comme sur un disque dur, de faire place nette, d'avancer.

Delphine de Vigan
Rien ne s'oppose à la nuit

"Plongée bouleversante au coeur de la mémoire familiale" (4° de couverture)

lundi 27 février 2012

Des mots sauvages

Je prends, pour me consoler, un crayon et un papier blanc. Pour me consoler, sur le papier, je décide de déposer des mots.
Je mets du temps à choisir les mots. Je veux les mots les plus justes, ceux qui serrent au plus près la réalité.
Avant de choisir les mots, je cherche à savoir à quoi ils vont servir, ce que j'ai à dire.
Il faut deviner, dans ma pénombre, ce que j'ai sur le coeur. Il faut voir clair à l'intérieur, comprendre ce qui s'y passe, ce qui fait mal. Pourquoi ça fait si mal.
Il faut faire le ménage et débarrasser. Tout sortir dehors, dans la lumière. Démêler le vrai du faux, trier entre le cinéma que je me fais et la réalité que je fuis. Séparer ce qu'il faut garder de ce qu'il faut jeter.
Le faux, je le mets au soleil pour le dessécher, comme on fait avec les mauvaises herbes une fois qu'on les a déterrées et qu'on les laisse crever les racines en l'air.
Le vrai, je le mets dans du terreau pour qu'il puisse pousser.
Au milieu des mots que j'ai choisis, il arrive des mots que je n'ai pas invités, des mots sauvages. Ils ont bien fait de venir, ils m'apprennent sur moi des choses que je n'aurais pas pu imaginer.
A force de chercher le mot juste, à force d'essayer de faire des belles phrases bouleversantes, à force d'essayer d'être rigolo ou d'émouvoir, ce qui est la même chose, on dit "pleurer de rire", j'ai l'impression d'être moins malheureux.
Je me suis relu, j'ai ri aux passages émouvants, et les passages drôles m'ont mis les larmes aux yeux. Pas les larmes acides du passé, mais des larmes douces et tièdes.

Jean-Louis Fournier
Poète et paysan

J'ai choisi ce passage d'un livre original et fort bien écrit parce qu'il m'a fait replonger d'un seul coup, à une époque où je ne savais pas nager seul, dans le marais dans lequel je vivais il y a trois ans. Depuis, certes, ma vie est sereine et pleine, mais le crayon et le papier blanc me donnent toujours de grands moments d'hésitation... avant de me faire plonger avec bonheur dans l'expression spontanée.

jeudi 16 février 2012

Payer l'amour d'amour

La saison nouvelle
partout se révèle,
les oiselets sont dans les délices,
tandis que fleurit la montagne et le val.
Toute vie
se délivre
du tourment de l'hiver cruel.
Et moi seule
je me meurs,
si l'amour bientôt n'a pitié de mon mal.
...
L'Amour conquiert toute chose :
qu'il me fasse triompher à mon tour !
Amour connaît toute misère :
qu'il me donne de dire
combien dur
- Ah ! combien ! -
est d'attendre son plaisir.
Si sévère
est l'épreuve
que mes sens accablés n'y peuvent plus tenir.
...
L'amour vit, je le sais bien,
des maints trépas que j'endure ;
et de le savoir
me rend aisé de souffrir.
Malheur et joie,
peine et douceur,
je cache aux étrangers les secrets de mon coeur.
Au plus haut de l'esprit,
j'en ai la certitude :
l'amour doit payer l'amour d'amour.
...

Hadewijch d'Anvers
Écrits mystiques des béguines

dimanche 8 janvier 2012

L'insaisissable étincelle

Il ne faut pas juger la passion, ni le chagrin car, quelles qu'en soient les raisons, quelles qu'en soient les manifestations, on n'en perçoit jamais que les surfaces; on ne voit que l'infime, on se rappelle ce qui affleurait, et l'on a tout oublié, au moment où, guéri, on examine la cicatrice indolore des troubles profonds que l'aventure avait causés en nous. On est remis. La convalescence s'est passée à tout minimiser, à piétiner les éclats de verre coupants pour les réduire en millier de miettes, qui, érodées par l'implacable semelle de la raison, achèvent de perdre leur tranchant. On balaie ça d'un revers de main, poudre cristalline, paillettes. Seule demeure l'insaisissable étincelle que la faveur d'un rayon hasardeux ranime parfois, au moment où l'on s'y attend le moins, mais qui s'éteint sitôt que l'on tente de l'encourager, de souffler dessus, pour attiser le feu ancien.

Agnès Desarthe
Mangez-moi

En 4° de couverture, on lit cet extrait de la critique de l'Express: "Dans l'immédiat, on suggère à la Sécurité sociale de rembourser son roman, plus efficace pour le moral que tous les antidépresseurs de la pharmacopée moderne". Peut-être, peut-être, mais il y a tellement plus, ne serait-ce que l'histoire d'une vie ravagée, que l'héroïne tente par tous les moyens, avouables ou non, de comprendre avant tout, de guérir ou de reconstruire, mais sans le dire comme ça. Beau roman.

jeudi 5 janvier 2012

L'univers de l'autre

Embrasse l'univers de ton prochain, et il s'ouvrira à toi.
...
Embrasser l'univers de l'autre, c'est d'abord faire mûrir en toi l'envie d'entrer dans son monde. C'est t'intéresser à lui au point de vouloir expérimenter ce que c'est que d'être dans sa peau: prendre plaisir à essayer de penser comme lui, de croire ce qu'il croit, et même de parler comme lui, de se mouvoir comme lui... Quand tu parviendras à ça, tu seras en mesure de ressentir assez justement ce que l'autre ressent et de vraiment comprendre cette personne. Chacun de vous se sentira en phase avec l'autre, sur la même longueur d'onde. Tu peux, bien sûr, regagner ensuite ta position. Vous conserverez une qualité de communication profitable à tous les deux. Et tu verras que l'autre cherchera alors aussi à te comprendre. Il se mettra à s'intéresser à ton univers, mû notamment par le désir de faire perdurer une telle qualité de relation.

Laurent Gounelle
Dieu voyage toujours incognito

Deuxième roman de l'auteur de L'Homme qui voulait être heureux, que j'avais dévoré. Ce deuxième roman, foisonnant, étrange, prenant, riche, comporte des passages qui sont de la même veine que le premier roman, mais il est aussi un vrai thriller, avec beaucoup de suspense, avec une fin... Non, vous ne saurez pas la fin. Lisez plutôt le livre, il en vaut la peine.