lundi 27 février 2012

Des mots sauvages

Je prends, pour me consoler, un crayon et un papier blanc. Pour me consoler, sur le papier, je décide de déposer des mots.
Je mets du temps à choisir les mots. Je veux les mots les plus justes, ceux qui serrent au plus près la réalité.
Avant de choisir les mots, je cherche à savoir à quoi ils vont servir, ce que j'ai à dire.
Il faut deviner, dans ma pénombre, ce que j'ai sur le coeur. Il faut voir clair à l'intérieur, comprendre ce qui s'y passe, ce qui fait mal. Pourquoi ça fait si mal.
Il faut faire le ménage et débarrasser. Tout sortir dehors, dans la lumière. Démêler le vrai du faux, trier entre le cinéma que je me fais et la réalité que je fuis. Séparer ce qu'il faut garder de ce qu'il faut jeter.
Le faux, je le mets au soleil pour le dessécher, comme on fait avec les mauvaises herbes une fois qu'on les a déterrées et qu'on les laisse crever les racines en l'air.
Le vrai, je le mets dans du terreau pour qu'il puisse pousser.
Au milieu des mots que j'ai choisis, il arrive des mots que je n'ai pas invités, des mots sauvages. Ils ont bien fait de venir, ils m'apprennent sur moi des choses que je n'aurais pas pu imaginer.
A force de chercher le mot juste, à force d'essayer de faire des belles phrases bouleversantes, à force d'essayer d'être rigolo ou d'émouvoir, ce qui est la même chose, on dit "pleurer de rire", j'ai l'impression d'être moins malheureux.
Je me suis relu, j'ai ri aux passages émouvants, et les passages drôles m'ont mis les larmes aux yeux. Pas les larmes acides du passé, mais des larmes douces et tièdes.

Jean-Louis Fournier
Poète et paysan

J'ai choisi ce passage d'un livre original et fort bien écrit parce qu'il m'a fait replonger d'un seul coup, à une époque où je ne savais pas nager seul, dans le marais dans lequel je vivais il y a trois ans. Depuis, certes, ma vie est sereine et pleine, mais le crayon et le papier blanc me donnent toujours de grands moments d'hésitation... avant de me faire plonger avec bonheur dans l'expression spontanée.

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