jeudi 28 mai 2009

L'évidence poétique

Je termine la lecture du Livre d'or de la poésie française de Pierre Seghers et je suis parfois dérouté par des textes dont je ne saisis pas la signification, surtout chez les poètes "modernes". J'ai trouvé quelque explication (quelques mots de réconfort ? je le pense) chez Paul Eluard (1895-1952).

Le poète est celui qui inspire bien plus que celui qui est inspiré. Les poèmes ont toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consomme pour recréer un délire sans passé. Leur principale qualité est non pas, je le répète, d'invoquer mais d'inspirer. Tant de poèmes d'amour sans objet réuniront, un beau jour, des amants. On rêve sur un poème comme on rêve sur un être. La compréhension, comme le désir, comme la haine, est faite de rapports entre la chose à comprendre et les autres, comprises ou incomprises. C'est l'espoir ou le désespoir qui déterminera pour le rêveur éveillé — pour le poète — l'action de son imagination. Qu'il formule cet espoir ou ce désespoir et ses rapports avec le monde changeront immédiatement. Tout est au poète objet à sensations et, par conséquent, à sentiments. Tout le concret devient alors l'aliment de son imagination et l'espoir, le désespoir passent, avec les sensations et les sentiments, au concret.

Deux autres textes, de Pierre Reverdy (1889-1960) viennent soutenir mon approche parfois hésitante de la poésie.

Le poète ne doit pas perdre son rang de spectateur particulier et supérieur, subtil, pénétrant, imaginatif et capable de relier toute chose par des rapports qu’il est seul capable de découvrir et de faire voir.
Son rôle est d’extraire de toutes choses, de tout spectacle, de tout accident dans le domaine physique ou moral, la substance qu’il transportera ensuite sur un autre plan, celui de l’art, où son pouvoir créateur accomplira la sublime transformation. Il ne saurait consentir à immoler ou à asservir la poésie à quelque sujet ou phénomène social que ce soit, sans faillir à sa vraie mission. Il se doit de dérober à quelque chose la part qui en revient à la poésie.

...
La poésie n’est pas un simple jeu de l’esprit. Ce n’est pas pour se distraire ou pour distraire un public quelconque que le poète écrit. Ce qui l’inquiète, c’est son âme et les rapports qui la relient, malgré tous les obstacles, au monde sensible et extérieur.
Ce qui pousse le poète à la création, c’est le désir de se mieux connaître, de sonder sa puissance intérieure constamment, c’est l’obscur besoin d’étaler sous ses propres yeux cette masse qui pesait trop lourdement dans sa tête et dans sa poitrine. Car la poésie, même la plus calme en apparence, est toujours le véritable drame de l’âme. Son action profonde et pathétique.
Le poète est un plongeur qui va chercher dans les plus intimes profondeurs de sa conscience les matériaux sublimes qui viendront se cristalliser quand sa main les portera au jour.

vendredi 15 mai 2009

La musique

La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile !

La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile,
J'escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile ;

Je sens vibrer en moi toutes les passions
D'un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions

Sur l'immense gouffre
Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir !

Charles Baudelaire (1821-1867)

(Ce poème me fait penser à une magnifique sculpture
de Christian Jacques, achetée il y a quelques années,
actuellement en "prêt longue durée" chez Lydie)

De Baudelaire :

Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours, - de poésie jamais.

La poésie, pour peu qu'on veuille descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d'enthousiasme, n'a pas d'autre but qu'elle-même ; elle ne peut pas en avoir d'autre et aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d'écrire un poème.

vendredi 8 mai 2009

Jean-Baptiste Chassignet

J'ai découvert au hasard de mes lectures (je baigne dans la poésie en ce moment) Jean-Baptiste Chassignet (1571-1620). Bonne culture humaniste et juridique, il a publié à 23 ans "Le Mespris de la Vie et Consolation contre la Mort", où sa hantise de la mort donne naissance à une poésie baroque qui, à mon avis, le place en précurseur de Rimbaud. Voici deux de ses sonnets. Je ne suis pas étranger à cet état d'esprit...

Comme petits enfants d'une larve outrageuse,
D'un fantôme, ou d'un masque, ainsi nous avons peur,
Et redoutons la mort, la concevant au cœur
Telle comme on la fait, hâve, triste, et affreuse :

Comme il plaît à la main ou loyale, ou trompeuse
Du graveur, du tailleur, ou du peintre flatteur
La nous représenter sur un tableau menteur,
Nous l'imaginons telle, agréable, ou hideuse :

Ces appréhensions torturant nos cerveaux
Nous chassent devant elle, ainsi comme bouveaux
Courent devant le loup, et n'avons pas l'espace

De la bien remarquer : ôtons le masque feint,
Lors nous la trouverons autre qu'on ne la peint,
Gracieuse à toucher, et plaisante de face.

*
J'ay voulu voyager, à la fin le voyage
M'a fait en ma maison mal content retirer.
En mon estude seul j'ay voulu demeurer,
En fin la solitude a causé mon dommage.

J'ay voulu naviguer, en fin le navigage
Entre vie et trespas m'a fait desesperer.
J'ay voulu pour plaisir la terre labourer,
En fin j'ay mesprisé l'estat du labourage.

J'ay voulu pratiquer la science et les ars,
En fin je n'ay rien su ; j'ay couru le hasars
Des combats carnassiers, la guerre ore m'offence :

Ô imbecillité de l'esprit curieus
Qui mescontent de tout de tout est desireus,
Et douteus n'a de rien parfaite connoissance.

mardi 5 mai 2009

Stances de l'impossible

L'été sera l'hiver et le printemps l'automne,
L'air deviendra pesant, le plomb sera léger :
On verra les poissons dedans l'air voyager
Et de muets qu'ils sont avoir la voix fort bonne.
L'eau deviendra le feu, le feu deviendra l'eau
Plutôt que je sois pris d'un autre amour nouveau.

Le mal donnera joie, et l'aise des tristesses !
La neige sera noire, et le lièvre hardi,
Le lion deviendra du sang acouardi,
La terre n'aura point d'herbes ni de richesses ;
Les rochers de soi-même auront un mouvement
Plutôt qu'en mon amour il y ait changement.

Le loup et la brebis seront en même étable
Enfermés sans soupçon d'aucune inimitié ;
L'aigle avec la colombe aura de l'amitié
Et le caméléon ne sera point muable.
Nul oiseau ne fera son nid au renouveau
Plutôt que je sois pris d'un autre amour nouveau.

La lune qui parfait en un mois sa carrière
La fera en trente ans au lieu de trente jours ;
Saturne qui achève avec trente ans son cours
Se verra plus léger que la lune légère :
Le jour sera la nuit, la nuit sera le jour
Plutôt que je m'enflamme au feu d'un autre amour.

Les ans ne changeront le poil ni la coutume,
Les sens et la raison demeureront en paix,
Et plus plaisants seront les malheureux succès
Que les plaisirs du monde au coeur qui s'en allume.
On haïra la vie, aimant mieux le mourir
Plutôt que l'on me voie à autre amour courir.

On ne verra loger au monde l'espérance ;
Le faux d'avec le vrai ne se discernera,
La fortune en ses dons changeante ne sera,
Tous les effets de mars seront sans violence,
Le soleil sera noir, visible sera Dieu
Plutôt que je sois vu captif en autre lieu.


Amadis Jamyn (1538-1592)
Grand ami de Ronsard, traducteur de l'Iliade et l'Odyssée

dimanche 3 mai 2009

Fandango de Boccherini

Luigi Boccherini (1743-1805) "le plus grand violoncelliste de son temps", né en Toscane qu'il quitta pour Vienne, la France et enfin l'Espagne où il finit sa vie, a brillé quelques années pour finir isolé et désargenté. Parmi ses œuvres, je présente le Fandango, extrait du Quintet n°4, où l'on sent nettement l'influence espagnole. Ce final a donné lieu à toutes sortes d'interprétations : avec grand orchestre à cordes, avec guitares seules, avec prédominance d'une danseuse espagnole, sans tambourin ni castagnettes... L'interprétation présentée ici me semble être la plus proche de la partition originelle. Ecoutons...