mercredi 28 décembre 2011

Monsieur Linh

Monsieur Linh fait signe à son ami de le suivre. Il quitte le sentier et s'enfonce dans la forêt. Le dernier soleil dépose çà et là des pièces d'or sur le tapis de mousse, et soudain, jaillissant de cette mosaïque verte mêlée de feu, une source apparaît. Elle naît entre deux pierres et son eau qui s'élance suit cinq directions, comme si elle dessinait la forme d'une main tendue et de cinq doigts écartés, une main ouverte, une main offerte. Les cinq filets d'eau disparaissent ensuite dans le sol, quelques pas plus loin, aussi miraculeusement qu'ils étaient venus à la lumière.
"Cette source n'est pas une source ordinaire, dit Monsieur Linh au gros homme. On raconte que son eau a le pouvoir de donner l'oubli à celui qui la boit, l'oubli des mauvaises choses. Lorsque l'un d'entre nous sait qu'il va mourir, il s'en va vers la source, seul. Tout le village sait où il va, mais personne ne l'accompagne. Il faut qu'il soit seul à faire le chemin, et seul à s'agenouiller ici. Il vient boire l'eau de la source et aussitôt qu'il l'a bue, sa mémoire devient légère: ne restent en elle que les jolis moments et les belles heures, tout ce qu'il y a de doux et d'heureux. Les autres souvenirs, ceux qui coupent, ceux qui blessent, ceux qui entaillent l'âme et la dévorent, tous ceux-là disparaissent, dilués dans l'eau comme une goutte d'encre dans l'océan."

(ce passage est un rêve de Monsieur Linh, très significatif...)

Philippe Claudel
La petite fille de Monsieur Linh


"Un récit aussi bref que brûlant dont les braises ne s’éteignent pas, le livre refermé"
Philippe Jean Catinchi
Le Monde des livres
4° de couverture

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