vendredi 16 avril 2010

L'urgent et l'invisible

Il faut tenter de sortir de la fascination du visible, du tangible, pour rejoindre l'œuvre ou le rêve d'amour avant sa glissée dans la réalité, avant sa coagulation. Un instant avant que tout n'apparaisse définitif.
Rejoindre l'œuvre dans l'espace où elle est en flottaison.
Cet espace ne sera jamais aboli - même après sa dévastation sur terre. A combien de destructions de la vraie ville survit la Jérusalem céleste? Dans cet espace éminemment réel - le mundus imaginalis des mystiques - demeure à jamais le trace de la lumière fertile? C'est l'espace de l'éros créateur, l'espace divin.
Ouvrir le champ à cette conscience créatrice est le clef de la transmission.
S'attarder ensemble au seuil des possibles.
Se promener dans la chapelle Sixtine, les yeux rivés sur la coupole vide avant le premier coup de pinceau de Michel-Ange.
Errer dans les chantiers du monde, sur l'emplacement de la mosquée Bleue ou de l'abbaye du Thoronet quelques jours avant le premier coup de pioche quand y paissaient encore les moutons et y cabriolaient les chèvres.
Marcher de nuit dans New-York et y entendre bruire la forêt sacrée des Iroquois.
Rejoindre le moment de bifurcation où la vie s'invente de neuf.
Il faut répéter sans se lasser que ce qui existe sur terre n'est qu'une ombre du possible, une option entre mille autres. Nous avons été invités à jouer au jeu des dieux, à créer du frémissement, de l'ample, du vivant - et non à visser l'écrou de la coercition sociale et des soi-disant impératifs économiques.
Notre inertie rend probable que le probable ait lieu - mais il n'est pas pour autant improbable que ce soit l'improbable qui surgisse.
Ce qu'il y a de toute urgence à transmettre est invisible.

Christiane Singer
N'oublie pas les chevaux écumants du passé
Albin Michel

Je viens de lire avec gourmandise ce livre riche et profond. Comme le dit la quatrième de couverture "ce livre de sagesse dont on ressort apaisé et radieux". Le titre est emprunté à un adage japonais. Je cite encore cette phrase "Le passé fait halte à l'auberge de l'aujourd'hui. Ignorer sa présence, fermer les auvents et les volets serait barbare".

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