Giovanni, héros du roman, fait la connaissance d'Ibrahim, lequel l'emmène rencontrer un vieux maître soufi...
Le soufi regarda Giovanni dans les yeux.
- Sais-tu quelle est notre plus grande peur ?
Giovanni fut surpris par cette question. Il réfléchit quelques instants.
- La peur de mourir, me semble-t-il.
Le vieillard demeura silencieux avant de poursuivre d'une voix à la fois légère et assurée.
- J'ai longtemps cru cela. Et puis, au fil des années, une évidence m'est apparue. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce n'est pas de la mort que nous avons le plus peur... mais de la vie!
- De la vie ! sursauta Ibrahim interloqué. Aussi douloureuse puisse-t-elle être, la vie n'est-elle pas notre bien le plus précieux? Nous nous y accrochons tous avec ferveur.
-Oui, nous nous y accrochons, mais nous ne la vivons pas. Ou plutôt, nous nous cramponnons à l'existence. Or exister est un fait. Mais vivre, c'est un art.
- Que voulez-vous dire ? demanda Giovanni.
- Cette chose très simple : sans nous demander notre avis, Dieu nous a créés, il nous a donné l'Être. Donc nous existons. C'est un fait et nous n'y pouvons rien. Maintenant il nous faut vivre. Et là, nous sommes concernés, car nous sommes appelés à devenir les auteurs de notre vie. Telle une œuvre d'art, nous devons tout d'abord la vouloir, puis l'imaginer, la penser, enfin la réaliser, la modeler, la sculpter et cela à travers tous les événements, heureux ou malheureux, qui surviennent sans que nous y puissions rien. On apprend à vivre, comme on apprend à philosopher ou à faire la cuisine. Et le meilleur éducateur de la vie, c'est la vie elle-même et l'expérience qu'on peut en retirer.
- Je comprends cela. Mais en quoi avons-nous peur de la vie?
- Nous avons peur de nous ouvrir pleinement à la vie, d'accueillir son flot impétueux. Nous préférons contrôler nos existences en menant une vie étroite, balisée, avec le moins de surprises possible. Cela est tout aussi vrai dans les humbles demeures que dans les palais! L'être humain a peur de la vie et il est surtout en quête de la sécurité de l'existence. Il cherche, tout compte fait, davantage à survivre qu'à vivre. Or, survivre, c'est exister sans vivre... et c'est déjà mourir.
Frédéric Lenoir
L'Oracle della Luna
Étrange et passionnant roman d'un auteur plus connu comme philosophe, sociologue et historien des religions.
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