Je cogitais sans cesse, comme s'il fallait me justifier, me situer, ça m'épuisait, l'envie de peindre m'abandonnait puis elle revenait, plus brûlante encore. Où était le courage artistique désormais? Fallait-il déchirer, brûler les toiles? Certains essayaient. Mais l'avant-garde c'est une bataille, pas une surenchère. Il faut un risque à la peinture. Je n'avais pas envie de prendre le train en marche. J'allais peindre, quitter le magasin, prendre un nouveau départ! L'originalité était morte avec Picasso? Bon débarras! On allait pouvoir s'intéresser au sujet plus qu'au style, raconter des histoires, jouer avec les sens, les émotions, j'en avais tant des émotions. Je voulais renouer avec la peinture, quitte à être jeune et classique, quitte à revenir en arrière. Je ne voulais pas d'une peinture nostalgique, je voulais déjouer l'avant-garde avec mes pinceaux et mes couleurs. L'art doit, de toute façon, tendre des pièges.
...
Je me décidai enfin à créer un cadre qui n'avait rien de nouveau. Il restait tant de choses à faire et à dire. J'étais comme le pianiste, quatre-vingt-huit touches sous les doigts et pourtant une musique infinie devant lui; comme l'écrivain, tenu par la grammaire et les mots, et pourtant une multitude d'histoires à écrire. "C'est parce que le langage est fermé sur lui-même que l'écrivain peut créer" disait Roland Barthes. Le jour où j'ai croisé cette phrase, elle m'a fait du bien.
L'intranquille
Livre illuminé et lumineux de Gérard Garouste, avec Judith Perrignon
Sur le bandeau de livre, on trouve ce détail du tableau Le Masque de chien, autoportrait de Gérard Garouste
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire