mercredi 25 août 2010

Sur le chemin de Saint-Jacques

"Heureux les pauvres!" dit Jésus dans l'Evangile qui leur promet le royaume de Dieu, où il sera plus difficile au riche d'entrer qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille. Les théologiens ont eu beau essayer d'élargir la brèche en racontant que le trou de l'aiguille était le nom d'une porte de Jérusalem équipée d'un sas qui bloquait le passage des gros animaux, n'empêche, "Malheur aux riches" est aussi écrit en toutes lettres.
Sur le chemin, la pauvreté n'était pas à fuir, mais à rechercher. Comme la marche, elle transformait le rapport avec le temps. "Tu as la montre et moi, j'ai le temps", avait dit un berger du Mali, il y a vingt ans, à un copain photographe, qui me l'avait rapporté. C'était très juste. Et quand Rodrigo, la veille, déclarait qu'il aurait aimé passer toute sa vie sur le chemin, parce qu'on ne s'y embêtait pas comme en vacances où tous les jours se ressemblaient, il exprimait quelque chose du même genre; en vacances, on passait le temps, on le tuait même parfois, alors qu'ici chaque minute était employée, occupée, vécue. Au premier degré. Même s'il ne dépendait plus, comme au Moyen Âge, de la charité publique, un vrai pèlerin était pauvre et, s'il ne l'était pas, il devait s'efforcer de le devenir. Pour être en harmonie avec le chemin. L'économie du monde spirituel fonctionnant à l'inverse de l'économie du monde matériel (plus on donne d'amour et plus on en a, par exemple), pour vivre vraiment au présent, le temps des enfants, des poètes et des mystiques, il me fallait apprendre à être pauvre.
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Après le Salve Regina, toujours si doux à retrouver dans la nuit, la prieure a prononcé quelques mots: "Jésus a dit: Je suis le chemin; le camino c'est le moment de rechercher un trésor, Dieu dans le silence et la solitude. Pas du tourisme." C'était beau et simple. Je n'avais jamais pensé que Jésus était le chemin, pourtant elle est connue cette phrase! Il fallait d'abord chercher Dieu et le reste était donné: c'était écrit. Mais, en marchant, nous étions à l'intérieur même de Dieu et c'est nous qui le faisions marcher; nous lui débouchions les artères! Dans le grand pontage du chemin de Saint-Jacques, nous faisions circuler le sang entre ses trois Personnes, la beauté de la création paternelle, le sacrifice souffrant du Fils partagé dans la douleur quotidienne et l'amour pur de l'Esprit qui nous unissait. Peu importait que le pèlerin crût ou non en Dieu, du moment qu'il admirait le paysage, qu'il en bavait et qu'il tissait avec les autres ces liens si forts dont parle Raquel, il était en plein coeur de Dieu.

Alix de Saint-André
En avant, route !
(titre emprunté à Arthur Rimbaud)

Livre qui a, entre autres, réveillé en moi le souhait de suivre, physiquement et moralement, le chemin de Saint-Jacques (Merci, Marie-Ange et Daniel, très chers amis, pour ce cadeau qui m'a touché).

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