lundi 20 avril 2009

Ballade

O fols des fols, et les fols mortels hommes,
Qui vous fiez tant aux biens de fortune
En cette terre et pays où nous sommes
Y avez vous de chose propre aucune ?
Vous n'y avez chose vôtre sauf une,
Hors les beaux dons de grace et de nature.
Si la Fortune donc, par un cas d'aventure,
Vous toult (1) les biens que vôtres vous tenez,
Tort ne vous fait, ainsi vous fait droiture,
Car vous n'aviez rien quand vous fûtes né.
(1) Prend
Ne laissez plus le dormir à grand somme
En votre lit, par nuit obscure et brune
Pour acheter richesse à grandes sommes.
Ne convoitez choses dessous la lune,
Ni de Paris jusques à Pampelune
Mais ce qui fault (2), sans plus, à créature
Pour recouvrer sa simple nourriture.
Suffisez-vous d'être bien renommé
Et d'emporter bon loz (3) en sépulture,
Car vous n'aviez rien quand vous fûtes né.
(2) Manque
(3) Regrets
Les joyeux fruits des arbres, et les pommes,
Au temps que fut toute chose commune,
Et le beau miel et les glands et les gommes,
Suffisaient bien à chacun et chacune
Et pour ce fut sans noise et sans rancune.
Soyez content du chaud et des froidures
Ainsi prenez Fortune douce et sure.
Pour vos pertes, griefve (4) deuil n'en venez
Mais à raison, à point et à mesure
Car vous n'aviez rien quand vous fûtes né.
(4) Grave
Si Fortune vous fait aucune injure
C'est de son droit, là ne l'en reprenez
Et perdissiez jusques à la vêture
Car vous n'aviez rien quand vous fûtes né.

 
Alain Chartier (1390 - vers 1440)
Poète (parfois polémiste - cf Le Quadrilogue invectif), secrétaire de Charles VI et Charles VII, il fut appelé "Père de l'éloquence française". L'histoire en général et ma petite histoire personnelle ne désignent pas cet Alain Chartier comme un mien aïeul, mais, compte tenu de la virtuosité et de la pertinence des propos de sa Ballade, je me déclarerais bien volontiers comme son "p'tit p'tit p'tit p'tit p'tit fillot".

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